© Manon Massiat/MSF

Anticiper les pics de paludisme en contexte de changements climatiques

À l’hôpital de Mayen Abun, dans l’État de Warrap, une infirmière auxiliaire de MSF anime une activité de sensibilisation au paludisme. Soudan du Sud, 2023.
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Lucie Fauteux Chargée de communication

En bien des endroits à travers le monde, les impacts des changements climatiques exacerbent les vulnérabilités existantes, déstabilisent les communautés et augmentent les risques de propagation de certaines maladies. C’est le cas notamment au Soudan du Sud où les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) mènent un projet pilote pour évaluer l’efficacité d’un tout nouveau modèle d’anticipation du paludisme.

Exposées à de multiples facteurs de vulnérabilité, dont les conflits et l’insécurité alimentaire, les communautés du Soudan du Sud ont été touchées, ces dernières années, par des inondations récurrentes qui atteignent, dans certaines régions, des niveaux inédits et catastrophiques. Les conséquences de ce phénomène sont désastreuses : destruction des récoltes et du bétail, déplacements forcés, crise alimentaire, contamination de l’eau potable et propagation de maladies infectieuses, dont le paludisme.

« Des terres autrefois cultivables se transforment peu à peu en marécages, non plus de façon saisonnière, comme auparavant, mais de façon permanente », explique Léo Lysandre Tremblay, responsable de l’Action humanitaire sur le climat et l’environnement de MSF, basé au Canada. « Ces milieux humides constituent de véritables incubateurs pour les larves des moustiques anophèles qui transmettent le paludisme ».

UTILISER DES DONNÉES CLIMATIQUES POUR ANTICIPER LES PICS DE PALUDISME

En 2021, MSF a lancé le projet d’anticipation du paludisme. L’objectif est de développer un outil d’alerte qui permettra aux équipes de MSF de prendre des mesures précoces pour améliorer la planification, l’affectation des ressources et l’établissement des priorités.

Les équipes de MSF transportent des articles de première nécessité pour les personnes déplacées par les inondations à Ulang. Ces articles comprennent des
seaux, des couvertures et des casseroles, ainsi que des moustiquaires pour prévenir le paludisme. Soudan du Sud, 2022. © MSF/Verity Kowal
Tests effectués lors d’un dépistage quotidien du paludisme à la clinique MSF du village de Toch, dans l’État de Jonglei. Soudan du Sud, 2023.
© Manon Massiat/MSF

« Le système d’alerte précoce est basé sur des modèles prédictifs qui, eux, s’appuient sur une multitude de données accessibles sur le paludisme, mais aussi sur des indicateurs climatiques tels que les précipitations, la température, l’humidité et la vitesse du vent, et des indices de santé de la végétation », explique Léo Tremblay. « Cela nous permet de corréler une foule d’informations et de voir également comment certains événements météo, comme les inondations par exemple, peuvent avoir une incidence sur la transmission du paludisme. »

Les prévisions tirées de ce modèle permettront aux équipes de MSF de travailler, en amont, sur les quatre principaux facteurs d’anticipation des épidémies que sont la prévention, la capacité en termes de soins de santé, l’engagement des communautés et le plaidoyer.

En 2022, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estimait à 249 millions les cas de paludisme, dans 85 pays où cette maladie est considérée comme endémique .

L’incidence du paludisme qui entraîne chaque année des centaines de milliers de décès évitables, notamment chez les jeunes enfants, ne cesse d’augmenter, tout comme la zone de transmission qui s’étend chaque année.

« Les inondations de grande ampleur devenant une nouvelle normalité, nous devons mieux nous préparer », explique Michael Lawson, chargé des affaires humanitaires à MSF Canada. « De meilleures prévisions et davantage d’informations sont cruciales pour tenter de savoir quand et où s’attendre à des inondations et pour investir à l’avance dans des mesures d’atténuation. »

DES ESSAIS À PLUS LARGE ÉCHELLE

Le projet est actuellement à l’essai à Lankien, dans l’État de Jonglei au Soudan du Sud, où MSF soutient plusieurs établissements de santé. Il s’ajoute à différentes activités préventives déjà mises en œuvre dans la région, comme la pulvérisation d’insecticides, la médication préventive, la distribution de moustiquaires et les programmes de sensibilisation.

« Le modèle fonctionne assez bien, malgré les contraintes en termes de données attribuables entre autres aux mouvements de populations », précise Léo Tremblay. « Cela demeure toutefois suffisamment concluant pour que nous développions un prototype à plus grande échelle. »

Une seconde phase du projet prévoit donc d’évaluer ce prototype dans les marécages du sud du pays, une région durement touchée par les inondations où MSF soutient plusieurs projets.

Une fois ces étapes terminées, les efforts des équipes porteront sur l’évaluation de l’impact potentiel du modèle et sur le partage de cette innovation avec d’autres acteurs, comme le ministère de la Santé. L’objectif demeure de travailler de concert pour prévoir les activités médicales et mobiliser plus efficacement les ressources nécessaires pour répondre aux pics de paludisme. Un enjeu qui touche à la santé internationale, mais aussi à notre capacité d’adapter la réponse médicale et humanitaire aux nouveaux défis que poseront les impacts des changements climatiques.

Des familles touchées par un paludisme récurrent – L’histoire de Nya Thor

Dans l’État de Jonglei, au nord-est du Soudan du Sud, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) transportent par bateau ambulance quatre personnes gravement malades vers l’hôpital MSF d’Old Fangak. À bord, Nya Sibet Mar tient dans ses bras sa fille de deux ans, Nya Thor, qui souffre d’un paludisme sévère.

C’est la deuxième fois que Nya Thor est infectée par le paludisme. Selon sa mère, de plus en plus de personnes contractent cette maladie depuis les fortes inondations, qui ont commencé en 2019.

« Il y a deux ans, notre maison a été complètement inondée, nous avons donc dû chercher un autre endroit », raconte Nya Sibet Mar. « Nous sommes arrivés à Toch, mais comme il y a plus d’eau qu’avant, nous vivons entourés de moustiques. Nous voyons beaucoup de cas de paludisme maintenant, si on compare à ce que c’était avant les inondations. »

À l’hôpital, les équipes de MSF voient différents cas de paludisme, simples ou graves. Elles fournissent des médicaments antipaludiques, et traitent les complications comme les vomissements sévères, la forte fièvre, les convulsions, la pneumonie, l’anémie et la malnutrition.

Lorsque Nya Sibet Mar est arrivée à l’hôpital, sa fille Nya Thor a été admise dans le service pédiatrique de MSF. Souffrant de complications, elle y a reçu un traitement à la fois pour le paludisme et pour la malnutrition. Après trois jours de soins médicaux à l’hôpital, le bateau ambulance de MSF raccompagne Nya Thor et sa mère dans leur village. Ce jour-là, l’équipe de proximité de MSF y effectue un dépistage du paludisme : sur les 56 tests, 42 sont positifs.

Au cours des dernières années, le Soudan du Sud a connu d’importantes inondations. Certaines régions baignent désormais sous de vastes étendues d’eaux stagnantes qui sont devenues un terreau idéal pour les moustiques. Cela entraîne généralement une explosion des cas de paludisme. Entre juillet et septembre 2022, les équipes de MSF ont traité 81 000 personnes atteintes de paludisme dans les régions d’Ulang et de Fangak.

Nya Sibet Mar avec sa fille de deux ans, Nya Thor. Nya Thor souffre de paludisme. Elle est transférée par bateau ambulance à l’hôpital de MSF à Old Fangak.
Soudan du Sud, 2023. © Manon Massiat/MSF