Mer Méditerranée : des rescapé·e·s font entendre leur voix

La Dre Hager Saadallah, psychologue de MSF, s’entretient avec un rescapé à bord du Geo Barents. Mer Méditerranée, 2021. © Eloise Liddy / MSF
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DES PERSONNES SECOURUES PAR UN NAVIRE DE MSF PARLENT DE LA VIOLENCE QU’ELLES ONT SUBIE ET DONT ELLES ONT ÉTÉ TÉMOINS.

Eloise Liddy Responsable des communications À bord du Geo Barents

En décembre 2021, le Geo Barents, le navire de recherche et sauvetage de Médecins Sans Frontières (MSF), a effectué huit sauvetages, portant ainsi secours à 558 personnes qui se trouvaient à bord d’embarcations en détresse sur la mer Méditerranée.

Plusieurs de ces rescapé·e·s avaient non seule- ment survécu à leur périple en mer, mais aussi aux multiples violences et traumatismes qui leur avaient été infligés dans la Libye qu’ils venaient de fuir, dans leur pays d’origine et au cours de leurs déplacements.

Parmi les personnes qui sont montées à bord, nombreuses sont celles qui portaient des bles- sures physiques visiblement récentes, dont des os fracturés. Ce type de blessures nécessite une gestion intensive de la douleur, ce qui peut être difficile dans l’environnement bondé du navire.

La plupart des rescapé·e·s ont déclaré aux équipes médicales de MSF qu’ils et elles avaient subi ces blessures juste avant ou au moment où ils et elles ont quitté les côtes libyennes. D’autres souffraient de blessures plus an- ciennes. Certaines personnes ont mentionné que les blessures leur avaient été infligées en Libye par les gardiens des centres de détention et des groupes armés non étatiques, tandis que d’autres ont affirmé qu’elles leur avaient été infligées par des gardes-côtes libyens lors de leur interception en mer.

« J’ai beaucoup souffert en Libye », raconte Aissatou*, une Camerounaise de 21 ans. « Quand je suis entrée en Libye, je n’avais pas de cicatrices. Maintenant, tout mon corps en est couvert. »

Aissatou porte une grande cicatrice à la poitrine, souvenir de son évasion de prison, en Libye.

« C’était une prison pour femmes, et les gardiens nous violaient sans cesse. Ils ne nous nourrissaient pas bien. Nous n’avions pas de vêtements, nous vivions dans la saleté. Chaque fois que nous essayions de nous échapper, ils appelaient les gangs pour qu’ils viennent nous fouetter… ils nous battaient avec leurs kalachnikovs. »

Un jour, plusieurs femmes, dont Aissatou, ont réussi à s’enfuir de la prison.

« Quand les gardes ont vu que les filles s’en- fuyaient, ils ont pris tout ce qu’ils pouvaient – des barres de fer, des armes – pour nous frapper. C’est alors qu’un gardien m’a blessée à la poitrine avec un tuyau de métal », dit-elle. « Plusieurs filles ont été blessées, mais nous avons quand même couru. Mes vêtements étaient imbibés de sang. J’ai demandé à des gens dans la rue de me cacher. »

Un homme raconte aussi les violences qu’il a subies au centre de détention d’Abu Issa à Zawiyah, à environ 50 kilomètres de Tripoli, où il a été détenu pendant plus d’un an.

Ils nous battaient tous les matins… parfois, ils nous frappaient avec leur fusil, ou des bâtons de bois ou des tuyaux en métal, ou encore des décharges électriques. J’ai subi beaucoup de blessures. »

« Des gens nous ont dit avoir été battus ou frappés avec des bâtons de bois ou de métal », explique Stefanie Hofstetter, chef de l’équipe médicale de MSF à bord du Geo Barents. « D’autres ont déclaré avoir été battus avec des armes à feu. Nous avons également vu des personnes présentant des blessures superfi-cielles partout sur le corps : questionnées sur ce qui leur était arrivé, elles disent généralement avoir été brûlées avec de l’eau bouillante ou du plastique fondu. »

Stefanie Hofstetter affirme que les équipes mé- dicales des navires de recherche et sauvetage sur la mer Méditerranée traitent depuis des années ces types de blessures chez les rescapé·e·s. « La situation n’a pas changé : la violence est toujours présente », dit-elle. « La seule chose qui change, c’est la façon dont la violence est infligée aux gens. »

ENDURER L’HORREUR EN SILENCE

Plusieurs personnes secourues par le Geo Barents en décembre 2021 ont déclaré avoir été victimes ou témoins de violences sexuelles à la fois en Libye et dans leur pays d’origine. Relations sexuelles transactionnelles, prosti- tution forcée, viols, mariages forcés, traite de personnes et mutilations génitales féminines, nombreuses étaient les femmes qui avaient subi ces abus sur une longue période.

Camerounais, François* a été secouru par le Geo Barents. Il a subi de la violence en Libye et il a survécu à un naufrage en mer Méditerranée.
Il a partagé son talent avec l’équipe MSF pour exprimer sa gratitude et sensibiliser les gens aux abus auxquels les personnes sont confronté·e·s.
Mer Méditerranée, 2021.

Parmi elles, Aissatou, qui a subi des violences sexuelles perpétrées par des passeurs dans de grands entrepôts près de la mer, avant de s’em- barquer sur un bateau pour fuir la Libye.

« Les passeurs nous violent dans les campos (entrepôts). Si nous refusons, ils nous tailladent avec une lame… nous n’avons pas le choix. »

Ahmed*, 17 ans, originaire d’un pays d’Afrique subsaharienne, a été témoin d’un viol alors qu’il était en prison en Libye.

« Beaucoup de gens souffrent… pour les femmes, c’est dur », dit Ahmed. « Quand les hommes libyens prennent une femme en pri- son, elle revient blessée et elle n’a aucun accès à une assistance médicale. »

Ahmed dit qu’en Libye, il est impossible de dénoncer ces expériences horribles ou de de- mander de l’aide par crainte de représailles.

« Si tu parles, ils te tuent ou ils tuent la femme. »

Aissatou confirme : « Nous avons subi beau- coup de choses, mais nous n’en avons pas parlé en Libye. À qui porterions-nous plainte? Il n’y a pas de lois. La seule chose à faire, c’est de prier Dieu pour que quelqu’un vienne à votre secours si vous parvenez à vous rendre en mer. »

VERBALISER L’HORREUR

Aux rescapé·e·s qui ont vécu de longues périodes de peur et de stress associées à de graves violences, l’équipe médicale de MSF sur le Geo Barents offre un soutien de base en santé mentale dans le but de restaurer un sentiment de sécurité et de dignité.

Selon la Dre Hager Saadallah, psychologue de MSF, l’une des choses les plus importantes que l’équipe puisse offrir aux victimes est la possibili- té de parler de ses expériences avec un ou une professionnelle de la santé.

« Ce dont les gens ont besoin à ce stade, puisqu’ils sont encore en déplacement, c’est de pouvoir parler à quelqu’un de ce qu’ils ont vécu », dit-elle.

Le matin du 24 décembre, les équipes de MSF ont repéré un bateau de bois en détresse. Cent personnes y étaient entassées sur deux niveaux.
Au terme de huit sauvetages, le Geo Barents comptait à son bord 558 rescapé·e·s. Mer Méditerranée, 2021. © Eloise Liddy / MSF

Kira Smith, sage-femme à bord du Geo Barents, affirme que cette opportunité est particulière- ment importante chez les victimes de violences sexuelles.

« Souvent, lorsque je m’entretiens avec une victime qui vient tout juste d’être secourue, je réalise que c’est la première fois qu’elle parle à quelqu’un – et en particulier à une profes- sionnelle – de ce qui lui est arrivé », explique Kira Smith. « Mon objectif est qu’elle se sente en sécurité et valorisée, et qu’elle sache que ce n’est pas de sa faute. Cela jette les bases de ce à quoi elle devrait s’attendre et estimer mériter de la part des prestataires de soins qu’elle rencon- trera ultérieurement. »

« Bien qu’il y ait beaucoup de choses que nous ne puissions pas faire pour les gens pendant leur court passage à bord du navire, ils méritent d’être entendus et d’être traités avec dignité. »

*Lesnomsontétéchangéspourprotégerla vie privée.

MSF mène en mer Méditerranée des activités de recherche et sauvetage depuis 2015, travaillant tour à tour sur huit navires, seule ou en partenariat avec d’autres organisations non gouvernementales. Nos équipes ont sauvé plus de 80 000 vies. Depuis le lancement des opérations de recherche et sauvetage à bord du Geo Barents en mai 2021, MSF a secouru 1 903 personnes et repêché 10 corps.

Entre le 17 et le 24 décembre 2021, les équipes de MSF à bord du Geo Barents ont secouru 558 personnes se trouvant sur des bateaux en détresse lors de huit opérations de sauvetage dans les territoires de recherche et sauvetage libyens et maltais. Parmi les rescapé·e·s se trouvaient 35 femmes, dont deux étaient enceintes, et 174 mineurs, dont 143 étaient non accompagnés.

Mer Méditerranée : des rescapé·e·s font entendre leur voix

La Dre Hager Saadallah, psychologue de MSF, s’entretient avec un rescapé à bord du Geo Barents. Mer Méditerranée, 2021. © Eloise Liddy / MSF
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DES PERSONNES SECOURUES PAR UN NAVIRE DE MSF PARLENT DE LA VIOLENCE QU’ELLES ONT SUBIE ET DONT ELLES ONT ÉTÉ TÉMOINS.

Eloise Liddy Responsable des communications À bord du Geo Barents

En décembre 2021, le Geo Barents, le navire de recherche et sauvetage de Médecins Sans Frontières (MSF), a effectué huit sauvetages, portant ainsi secours à 558 personnes qui se trouvaient à bord d’embarcations en détresse sur la mer Méditerranée.

Plusieurs de ces rescapé·e·s avaient non seule- ment survécu à leur périple en mer, mais aussi aux multiples violences et traumatismes qui leur avaient été infligés dans la Libye qu’ils venaient de fuir, dans leur pays d’origine et au cours de leurs déplacements.

Parmi les personnes qui sont montées à bord, nombreuses sont celles qui portaient des bles- sures physiques visiblement récentes, dont des os fracturés. Ce type de blessures nécessite une gestion intensive de la douleur, ce qui peut être difficile dans l’environnement bondé du navire.

La plupart des rescapé·e·s ont déclaré aux équipes médicales de MSF qu’ils et elles avaient subi ces blessures juste avant ou au moment où ils et elles ont quitté les côtes libyennes. D’autres souffraient de blessures plus an- ciennes. Certaines personnes ont mentionné que les blessures leur avaient été infligées en Libye par les gardiens des centres de détention et des groupes armés non étatiques, tandis que d’autres ont affirmé qu’elles leur avaient été infligées par des gardes-côtes libyens lors de leur interception en mer.

« J’ai beaucoup souffert en Libye », raconte Aissatou*, une Camerounaise de 21 ans. « Quand je suis entrée en Libye, je n’avais pas de cicatrices. Maintenant, tout mon corps en est couvert. »

Aissatou porte une grande cicatrice à la poitrine, souvenir de son évasion de prison, en Libye.

« C’était une prison pour femmes, et les gardiens nous violaient sans cesse. Ils ne nous nourrissaient pas bien. Nous n’avions pas de vêtements, nous vivions dans la saleté. Chaque fois que nous essayions de nous échapper, ils appelaient les gangs pour qu’ils viennent nous fouetter… ils nous battaient avec leurs kalachnikovs. »

Un jour, plusieurs femmes, dont Aissatou, ont réussi à s’enfuir de la prison.

« Quand les gardes ont vu que les filles s’en- fuyaient, ils ont pris tout ce qu’ils pouvaient – des barres de fer, des armes – pour nous frapper. C’est alors qu’un gardien m’a blessée à la poitrine avec un tuyau de métal », dit-elle. « Plusieurs filles ont été blessées, mais nous avons quand même couru. Mes vêtements étaient imbibés de sang. J’ai demandé à des gens dans la rue de me cacher. »

Un homme raconte aussi les violences qu’il a subies au centre de détention d’Abu Issa à Zawiyah, à environ 50 kilomètres de Tripoli, où il a été détenu pendant plus d’un an.

Ils nous battaient tous les matins… parfois, ils nous frappaient avec leur fusil, ou des bâtons de bois ou des tuyaux en métal, ou encore des décharges électriques. J’ai subi beaucoup de blessures. »

« Des gens nous ont dit avoir été battus ou frappés avec des bâtons de bois ou de métal », explique Stefanie Hofstetter, chef de l’équipe médicale de MSF à bord du Geo Barents. « D’autres ont déclaré avoir été battus avec des armes à feu. Nous avons également vu des personnes présentant des blessures superfi-cielles partout sur le corps : questionnées sur ce qui leur était arrivé, elles disent généralement avoir été brûlées avec de l’eau bouillante ou du plastique fondu. »

Stefanie Hofstetter affirme que les équipes mé- dicales des navires de recherche et sauvetage sur la mer Méditerranée traitent depuis des années ces types de blessures chez les rescapé·e·s. « La situation n’a pas changé : la violence est toujours présente », dit-elle. « La seule chose qui change, c’est la façon dont la violence est infligée aux gens. »

ENDURER L’HORREUR EN SILENCE

Plusieurs personnes secourues par le Geo Barents en décembre 2021 ont déclaré avoir été victimes ou témoins de violences sexuelles à la fois en Libye et dans leur pays d’origine. Relations sexuelles transactionnelles, prosti- tution forcée, viols, mariages forcés, traite de personnes et mutilations génitales féminines, nombreuses étaient les femmes qui avaient subi ces abus sur une longue période.

Camerounais, François* a été secouru par le Geo Barents. Il a subi de la violence en Libye et il a survécu à un naufrage en mer Méditerranée.
Il a partagé son talent avec l’équipe MSF pour exprimer sa gratitude et sensibiliser les gens aux abus auxquels les personnes sont confronté·e·s.
Mer Méditerranée, 2021.

Parmi elles, Aissatou, qui a subi des violences sexuelles perpétrées par des passeurs dans de grands entrepôts près de la mer, avant de s’em- barquer sur un bateau pour fuir la Libye.

« Les passeurs nous violent dans les campos (entrepôts). Si nous refusons, ils nous tailladent avec une lame… nous n’avons pas le choix. »

Ahmed*, 17 ans, originaire d’un pays d’Afrique subsaharienne, a été témoin d’un viol alors qu’il était en prison en Libye.

« Beaucoup de gens souffrent… pour les femmes, c’est dur », dit Ahmed. « Quand les hommes libyens prennent une femme en pri- son, elle revient blessée et elle n’a aucun accès à une assistance médicale. »

Ahmed dit qu’en Libye, il est impossible de dénoncer ces expériences horribles ou de de- mander de l’aide par crainte de représailles.

« Si tu parles, ils te tuent ou ils tuent la femme. »

Aissatou confirme : « Nous avons subi beau- coup de choses, mais nous n’en avons pas parlé en Libye. À qui porterions-nous plainte? Il n’y a pas de lois. La seule chose à faire, c’est de prier Dieu pour que quelqu’un vienne à votre secours si vous parvenez à vous rendre en mer. »

VERBALISER L’HORREUR

Aux rescapé·e·s qui ont vécu de longues périodes de peur et de stress associées à de graves violences, l’équipe médicale de MSF sur le Geo Barents offre un soutien de base en santé mentale dans le but de restaurer un sentiment de sécurité et de dignité.

Selon la Dre Hager Saadallah, psychologue de MSF, l’une des choses les plus importantes que l’équipe puisse offrir aux victimes est la possibili- té de parler de ses expériences avec un ou une professionnelle de la santé.

« Ce dont les gens ont besoin à ce stade, puisqu’ils sont encore en déplacement, c’est de pouvoir parler à quelqu’un de ce qu’ils ont vécu », dit-elle.

Le matin du 24 décembre, les équipes de MSF ont repéré un bateau de bois en détresse. Cent personnes y étaient entassées sur deux niveaux.
Au terme de huit sauvetages, le Geo Barents comptait à son bord 558 rescapé·e·s. Mer Méditerranée, 2021. © Eloise Liddy / MSF

Kira Smith, sage-femme à bord du Geo Barents, affirme que cette opportunité est particulière- ment importante chez les victimes de violences sexuelles.

« Souvent, lorsque je m’entretiens avec une victime qui vient tout juste d’être secourue, je réalise que c’est la première fois qu’elle parle à quelqu’un – et en particulier à une profes- sionnelle – de ce qui lui est arrivé », explique Kira Smith. « Mon objectif est qu’elle se sente en sécurité et valorisée, et qu’elle sache que ce n’est pas de sa faute. Cela jette les bases de ce à quoi elle devrait s’attendre et estimer mériter de la part des prestataires de soins qu’elle rencon- trera ultérieurement. »

« Bien qu’il y ait beaucoup de choses que nous ne puissions pas faire pour les gens pendant leur court passage à bord du navire, ils méritent d’être entendus et d’être traités avec dignité. »

*Lesnomsontétéchangéspourprotégerla vie privée.

MSF mène en mer Méditerranée des activités de recherche et sauvetage depuis 2015, travaillant tour à tour sur huit navires, seule ou en partenariat avec d’autres organisations non gouvernementales. Nos équipes ont sauvé plus de 80 000 vies. Depuis le lancement des opérations de recherche et sauvetage à bord du Geo Barents en mai 2021, MSF a secouru 1 903 personnes et repêché 10 corps.

Entre le 17 et le 24 décembre 2021, les équipes de MSF à bord du Geo Barents ont secouru 558 personnes se trouvant sur des bateaux en détresse lors de huit opérations de sauvetage dans les territoires de recherche et sauvetage libyens et maltais. Parmi les rescapé·e·s se trouvaient 35 femmes, dont deux étaient enceintes, et 174 mineurs, dont 143 étaient non accompagnés.

Mer Méditerranée : des rescapé·e·s font entendre leur voix

La Dre Hager Saadallah, psychologue de MSF, s’entretient avec un rescapé à bord du Geo Barents. Mer Méditerranée, 2021. © Eloise Liddy / MSF
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DES PERSONNES SECOURUES PAR UN NAVIRE DE MSF PARLENT DE LA VIOLENCE QU’ELLES ONT SUBIE ET DONT ELLES ONT ÉTÉ TÉMOINS.

Eloise Liddy Responsable des communications À bord du Geo Barents

En décembre 2021, le Geo Barents, le navire de recherche et sauvetage de Médecins Sans Frontières (MSF), a effectué huit sauvetages, portant ainsi secours à 558 personnes qui se trouvaient à bord d’embarcations en détresse sur la mer Méditerranée.

Plusieurs de ces rescapé·e·s avaient non seule- ment survécu à leur périple en mer, mais aussi aux multiples violences et traumatismes qui leur avaient été infligés dans la Libye qu’ils venaient de fuir, dans leur pays d’origine et au cours de leurs déplacements.

Parmi les personnes qui sont montées à bord, nombreuses sont celles qui portaient des bles- sures physiques visiblement récentes, dont des os fracturés. Ce type de blessures nécessite une gestion intensive de la douleur, ce qui peut être difficile dans l’environnement bondé du navire.

La plupart des rescapé·e·s ont déclaré aux équipes médicales de MSF qu’ils et elles avaient subi ces blessures juste avant ou au moment où ils et elles ont quitté les côtes libyennes. D’autres souffraient de blessures plus an- ciennes. Certaines personnes ont mentionné que les blessures leur avaient été infligées en Libye par les gardiens des centres de détention et des groupes armés non étatiques, tandis que d’autres ont affirmé qu’elles leur avaient été infligées par des gardes-côtes libyens lors de leur interception en mer.

« J’ai beaucoup souffert en Libye », raconte Aissatou*, une Camerounaise de 21 ans. « Quand je suis entrée en Libye, je n’avais pas de cicatrices. Maintenant, tout mon corps en est couvert. »

Aissatou porte une grande cicatrice à la poitrine, souvenir de son évasion de prison, en Libye.

« C’était une prison pour femmes, et les gardiens nous violaient sans cesse. Ils ne nous nourrissaient pas bien. Nous n’avions pas de vêtements, nous vivions dans la saleté. Chaque fois que nous essayions de nous échapper, ils appelaient les gangs pour qu’ils viennent nous fouetter… ils nous battaient avec leurs kalachnikovs. »

Un jour, plusieurs femmes, dont Aissatou, ont réussi à s’enfuir de la prison.

« Quand les gardes ont vu que les filles s’en- fuyaient, ils ont pris tout ce qu’ils pouvaient – des barres de fer, des armes – pour nous frapper. C’est alors qu’un gardien m’a blessée à la poitrine avec un tuyau de métal », dit-elle. « Plusieurs filles ont été blessées, mais nous avons quand même couru. Mes vêtements étaient imbibés de sang. J’ai demandé à des gens dans la rue de me cacher. »

Un homme raconte aussi les violences qu’il a subies au centre de détention d’Abu Issa à Zawiyah, à environ 50 kilomètres de Tripoli, où il a été détenu pendant plus d’un an.

Ils nous battaient tous les matins… parfois, ils nous frappaient avec leur fusil, ou des bâtons de bois ou des tuyaux en métal, ou encore des décharges électriques. J’ai subi beaucoup de blessures. »

« Des gens nous ont dit avoir été battus ou frappés avec des bâtons de bois ou de métal », explique Stefanie Hofstetter, chef de l’équipe médicale de MSF à bord du Geo Barents. « D’autres ont déclaré avoir été battus avec des armes à feu. Nous avons également vu des personnes présentant des blessures superfi-cielles partout sur le corps : questionnées sur ce qui leur était arrivé, elles disent généralement avoir été brûlées avec de l’eau bouillante ou du plastique fondu. »

Stefanie Hofstetter affirme que les équipes mé- dicales des navires de recherche et sauvetage sur la mer Méditerranée traitent depuis des années ces types de blessures chez les rescapé·e·s. « La situation n’a pas changé : la violence est toujours présente », dit-elle. « La seule chose qui change, c’est la façon dont la violence est infligée aux gens. »

ENDURER L’HORREUR EN SILENCE

Plusieurs personnes secourues par le Geo Barents en décembre 2021 ont déclaré avoir été victimes ou témoins de violences sexuelles à la fois en Libye et dans leur pays d’origine. Relations sexuelles transactionnelles, prosti- tution forcée, viols, mariages forcés, traite de personnes et mutilations génitales féminines, nombreuses étaient les femmes qui avaient subi ces abus sur une longue période.

Camerounais, François* a été secouru par le Geo Barents. Il a subi de la violence en Libye et il a survécu à un naufrage en mer Méditerranée.
Il a partagé son talent avec l’équipe MSF pour exprimer sa gratitude et sensibiliser les gens aux abus auxquels les personnes sont confronté·e·s.
Mer Méditerranée, 2021.

Parmi elles, Aissatou, qui a subi des violences sexuelles perpétrées par des passeurs dans de grands entrepôts près de la mer, avant de s’em- barquer sur un bateau pour fuir la Libye.

« Les passeurs nous violent dans les campos (entrepôts). Si nous refusons, ils nous tailladent avec une lame… nous n’avons pas le choix. »

Ahmed*, 17 ans, originaire d’un pays d’Afrique subsaharienne, a été témoin d’un viol alors qu’il était en prison en Libye.

« Beaucoup de gens souffrent… pour les femmes, c’est dur », dit Ahmed. « Quand les hommes libyens prennent une femme en pri- son, elle revient blessée et elle n’a aucun accès à une assistance médicale. »

Ahmed dit qu’en Libye, il est impossible de dénoncer ces expériences horribles ou de de- mander de l’aide par crainte de représailles.

« Si tu parles, ils te tuent ou ils tuent la femme. »

Aissatou confirme : « Nous avons subi beau- coup de choses, mais nous n’en avons pas parlé en Libye. À qui porterions-nous plainte? Il n’y a pas de lois. La seule chose à faire, c’est de prier Dieu pour que quelqu’un vienne à votre secours si vous parvenez à vous rendre en mer. »

VERBALISER L’HORREUR

Aux rescapé·e·s qui ont vécu de longues périodes de peur et de stress associées à de graves violences, l’équipe médicale de MSF sur le Geo Barents offre un soutien de base en santé mentale dans le but de restaurer un sentiment de sécurité et de dignité.

Selon la Dre Hager Saadallah, psychologue de MSF, l’une des choses les plus importantes que l’équipe puisse offrir aux victimes est la possibili- té de parler de ses expériences avec un ou une professionnelle de la santé.

« Ce dont les gens ont besoin à ce stade, puisqu’ils sont encore en déplacement, c’est de pouvoir parler à quelqu’un de ce qu’ils ont vécu », dit-elle.

Le matin du 24 décembre, les équipes de MSF ont repéré un bateau de bois en détresse. Cent personnes y étaient entassées sur deux niveaux.
Au terme de huit sauvetages, le Geo Barents comptait à son bord 558 rescapé·e·s. Mer Méditerranée, 2021. © Eloise Liddy / MSF

Kira Smith, sage-femme à bord du Geo Barents, affirme que cette opportunité est particulière- ment importante chez les victimes de violences sexuelles.

« Souvent, lorsque je m’entretiens avec une victime qui vient tout juste d’être secourue, je réalise que c’est la première fois qu’elle parle à quelqu’un – et en particulier à une profes- sionnelle – de ce qui lui est arrivé », explique Kira Smith. « Mon objectif est qu’elle se sente en sécurité et valorisée, et qu’elle sache que ce n’est pas de sa faute. Cela jette les bases de ce à quoi elle devrait s’attendre et estimer mériter de la part des prestataires de soins qu’elle rencon- trera ultérieurement. »

« Bien qu’il y ait beaucoup de choses que nous ne puissions pas faire pour les gens pendant leur court passage à bord du navire, ils méritent d’être entendus et d’être traités avec dignité. »

*Lesnomsontétéchangéspourprotégerla vie privée.

MSF mène en mer Méditerranée des activités de recherche et sauvetage depuis 2015, travaillant tour à tour sur huit navires, seule ou en partenariat avec d’autres organisations non gouvernementales. Nos équipes ont sauvé plus de 80 000 vies. Depuis le lancement des opérations de recherche et sauvetage à bord du Geo Barents en mai 2021, MSF a secouru 1 903 personnes et repêché 10 corps.

Entre le 17 et le 24 décembre 2021, les équipes de MSF à bord du Geo Barents ont secouru 558 personnes se trouvant sur des bateaux en détresse lors de huit opérations de sauvetage dans les territoires de recherche et sauvetage libyens et maltais. Parmi les rescapé·e·s se trouvaient 35 femmes, dont deux étaient enceintes, et 174 mineurs, dont 143 étaient non accompagnés.

Message de la directrice générale

Sana Bég, directrice générale, MSF Canada
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Sana Bég Directrice générale MSF Canada

« Elles [les personnes en deuil] ont toutes besoin d’un soutien : elles ont besoin d’être écoutées, de bénéficier de notre compassion, qu’on leur tende la main, voire qu’on pleure avec elles. »

Ces paroles de ma collègue Victoria Lepekha, responsable en santé mentale pour Médecins Sans Frontières (MSF) en Ukraine, reflètent toute l’importance du travail de MSF, qui dépasse la seule prestation de soins de santé.

Cela fait quelques mois que j’ai pris mes fonctions en tant que directrice générale de MSF Canada. Mon parcours avec MSF a cependant commencé il y a sept ans en tant que directrice des communications de MSF en Asie du Sud. Durant cette période, j’ai aussi travaillé directement avec les équipes présentes au Soudan du Sud et en tant que conseillère en communications pour le Yémen, la Syrie et l’Irak.

Le travail de MSF est ancré dans sa volonté d’établir des relations plus significatives et plus solides avec les personnes en situation de vulnérabilité. Ce sont ces valeurs – que partagent à la fois le personnel offrant une assistance médicale et les populations auprès desquelles nous travaillons – qui m’ont motivée à faire partie de ce mouvement international. Ce sont ces mêmes valeurs qui continuent à me motiver chaque jour.

Dans ce numéro de Dépêches, nous souhaitons vous faire découvrir l’histoire de personnes chassées de chez elles pour de multiples raisons comme la guerre, la violence et les difficultés économiques.

Menée en janvier par MSF dans le camp de Zamzam, au Darfour-Nord, une évaluation rapide de la nutrition et de la mortalité a révélé des taux alarmants de
malnutrition parmi les enfants examinés. Soudan, 2024. © Mohamed Zakaria

Vous en saurez plus sur les conséquences dévastatrices des politiques d’immigration en Amérique centrale et au Mexique sur la santé physique et mentale des personnes migrantes et réfugiées. Vous découvrirez les biens les plus précieux que les gens emportent avec eux lorsqu’ils s’apprêtent à traverser la mer Méditerranée dans les conditions les plus périlleuses. Nous vous parlerons également du Soudan, confronté à une immense tragédie humaine depuis que la guerre a éclaté il y a un an.

Souvent, les personnes déplacées de force requièrent des solutions politiques qui sont hors de notre contrôle. Les responsables politiques manquant à leurs obligations, MSF fait ce qu’elle peut pour combler les lacunes. Elle apporte une aide humanitaire cruciale et préserve la dignité des personnes auprès desquelles elle intervient.

SELON MOI, LA FORCE DE NOTRE HUMANITÉ COMMUNE COMPTE PLUS QUE JAMAIS.

MSF continue d’incarner les principes d’indépendance, de neutralité et d’impartialité. Elle souscrit également aux normes de déontologie médicale les plus élevées et s’engage à témoigner lorsque cela s’avère nécessaire. C’est pourquoi selon moi, la force de notre humanité commune compte plus que jamais.

Toutefois, les capacités de MSF sont limitées. Nous avons besoin du soutien moral et financier des personnes partageant les mêmes principes et les mêmes valeurs que MSF. À une époque où ce qui nous manque le plus est une attention humaine, votre attention et la confiance que vous continuez d’accorder à notre travail nous remplissent de gratitude. Merci de jouer un rôle aussi essentiel dans notre action médicale humanitaire.