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Mexique : les enlèvements et les violences sexuelles nuisent aux personnes en déplacement

Dans les sites d’intervention, les équipes de MSF entendent chaque jour le témoignage de personnes migrantes ayant survécu à différents actes de violence. @MSF
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Esteban Montaño Vásquez Chargé de communications MSF

« Je n’étais pas comme ça avant, je savais comment faire face aux problèmes, mais maintenant je trouve ça difficile », dit Camila*, les larmes coulant sur son visage. Elle a trouvé refuge dans un centre pour personnes migrantes à Matamoros, dans l’État mexicain de Taumalipas. Dans son corps et dans son esprit, Camila porte les atrocités subies par bien des gens dans le nord-est du Mexique dans leur quête vers la sécurité personnelle et économique de l’autre côté de la frontière, aux États-Unis.

En août 2023, Camila a fui son pays en raison des persécutions politiques dont elle et sa famille faisaient l’objet. Hormis les pots-de-vin illégaux demandés aux points de contrôle sur la route, son voyage s’est déroulé sans encombre. Cela a changé à son arrivée à San Luis Potosi, dans le nord-est du Mexique. « Le bus était plein et on a fait descendre tout le monde », raconte-t-elle. « Il ne restait plus qu’une famille mexicaine. On nous a mis dans d’autres bus pour nous renvoyer au Guatemala. »

« Pendant le voyage, nous avons été enlevés et c’est là que le pire a commencé. »

Camila a tenté une deuxième fois de rejoindre les États-Unis. Elle a réussi à atteindre la ville de Monterrey, au Mexique, où elle et d’autres personnes ont acheté des billets de bus pour la ville frontalière de Reynosa. « Pendant le voyage, nous avons été enlevés et c’est là que le pire a commencé », raconte-t-elle.

« Notre groupe a été emmené dans une maison, puis nous avons été séparés entre hommes et femmes. Nous devions rester debout, parce qu’il n’y avait pas de place. La nuit, des hommes sont venus et ont emmené les femmes hors de la maison. Ils nous ont violées sans arrêt, l’une après l’autre. Ils n’ont eu aucune pitié. »

Après 17 jours, Camila a été libérée. Elle a trouvé un endroit où loger dans l’un des rares centres d’accueil de Matamoros.

« Je suis venue voir MSF parce que je me sentais très mal », dit-elle. « Je n’arrivais pas à trouver de moments d’apaisement [à cause de ce que j’avais vécu]. Il m’arrive d’avoir un épisode de crise quand, par exemple, je prends un café et que je me rappelle soudain de ce qui m’est arrivé. À ce moment-là, je ne peux pas retenir mes larmes. Je suis actuellement un traitement. Je sais que j’ai encore un long chemin devant moi avant de redevenir qui j’étais avant. »

Malheureusement, les équipes de MSF présentes à Reynosa et à Matamoros entendent des histoires comme celle de Camila tous les jours.

« Ces derniers mois, nous avons constaté une augmentation des enlèvements et des violences sexuelles à l’encontre des personnes migrantes », explique Pooja Iyer, coordonnatrice de projet pour MSF. « Les gens que nous recevons nous disent que, pendant leur captivité, ils ont été maltraités, qu’ils n’ont pas reçu de nourriture en quantité suffisante ou de bonne qualité, et que la plupart des femmes ont subi des abus et des agressions sexuelles. »

Les personnes migrantes se trouvent confrontées à ces dangers dans toute cette région. À Piedras Negras, dans l’État de Coahuila, les équipes de MSF ont également été témoins de l’impact de la violence, notamment sexuelle, sur les personnes en déplacement.

Rosaura*, originaire du Venezuela, a été enlevée pendant une semaine et abusée sexuellement par ses ravisseurs. Incapable de les payer pour sa libération, elle a manqué un rendez-vous important avec les autorités américaines chargées de l’immigration. Désormais, elle souffre aussi de graves problèmes de santé mentale.

« Nous l’avons rencontrée dans une gare routière de Rio Bravo où certains membres de notre équipe distribuaient des articles pour se protéger du froid pendant l’hiver », explique Gustavo Marangoni, coordonnateur logistique de MSF. « En nous voyant, les 15 personnes qui étaient avec elle et attendaient de poursuivre leur voyage ont nié être migrantes, de peur d’être renvoyées dans leur pays. »

D’octobre 2023 à janvier 2024, les équipes de MSF ont ASSISTÉ 395 personnes ayant subi des violences.

Au cours des trois derniers mois de 2023, MSF a enregistré une augmentation de 70 % des consultations pour violence sexuelle à Reynosa et Matamoros, par rapport aux trois mois précédents. En janvier 2024, MSF a assisté 28 personnes ayant subi des violences sexuelles, soit plus que pour n’importe quel mois de l’année précédente. Entre octobre 2023 et janvier 2024, les équipes de santé mentale et de soutien social de MSF présentes à Reynosa et Matamoros ont assisté 395 personnes ayant été agressées, ainsi que 129 qui avaient été enlevées puis libérées.

En 2023, à Piedras Negras, les équipes de MSF ont aidé 95 personnes survivantes d’agressions sexuelles et 177 ayant subi d’autres actes de violence. Il s’agissait notamment d’enlèvements, de passages à tabac, de menaces et de la disparition des membres de leur famille.

« Ces événements violents ont de sérieuses répercussions sur la santé physique et émotionnelle des gens », explique Ryan Ginter, coordonnateur de projet pour MSF. « Les conséquences vont des ecchymoses et traumatismes physiques aux grossesses non désirées et maladies sexuellement transmissibles, en passant par des symptômes d’anxiété, de dépression, de stress aigu et de stress post-traumatique, entre autres. Ces questions méritent une attention particulière et immédiate afin d’éviter des répercussions plus importantes à l’avenir. [Mais] à leur arrivée aux États-Unis, la plupart des personnes migrantes sont refoulées. »

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ATTENTE INDÉFINIE DANS DES VILLES HOSTILES

De nombreuses personnes migrantes doivent attendre indéfiniment pour obtenir un rendez-vous avec les autorités américaines chargées de l’immigration après avoir fait leur demande via une application en ligne appelée CBP One.

« Bien des gens n’ont pas accès à un téléphone intelligent […], ou ne peuvent pas payer les frais de connexion à Internet. D’autres ne parlent pas espagnol ou ont des difficultés à lire et à écrire », explique Pooja Iyer. « La procédure de CBP One représente sans aucun doute un petit pas en avant pour mieux organiser les flux migratoires. Cependant, cet outil s’est avéré inadéquat pour gérer les processus d’entrée légale des gens cherchant une vie meilleure et la sécurité aux États-Unis. »

En attendant, il est extrêmement difficile pour les personnes migrantes de trouver un endroit sûr où dormir ainsi que de la nourriture, de l’eau, des articles d’hygiène et des soins médicaux.

Compte tenu de la gravité de la situation et des violences subies par les personnes migrantes dans le nord-est du Mexique, MSF appelle les autorités mexicaines et américaines à redoubler d’efforts pour leur fournir une gamme complète de services. Elles doivent aussi élargir les voies de migration légale et offrir de meilleurs abris, avec des services adéquats et dignes, pour les gens en déplacement.

*Les noms ont été changés pour protéger l’identité des gens.

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