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Soudan : « Les gens doivent savoir ce qu’il se passe ici »

Le personnel de MSF donne des consultations médicales à Kassala. Ce site accueille un grand nombre de personnes vivant avec un handicap qui ont été déplacées à cause des violents affrontements près de Khartoum et de Wad Madani. Soudan, 2024. @MSF
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Transcription d’un témoignage audio en arabe. Moana* a été déplacée trois fois, de Khartoum à Wad Madani, et de Wad Madani à Haddad.

Moana

Je m’appelle Moana. Je viens du sud de Khartoum. J’ai huit enfants et j’ai 48 ans.

Le conflit [au Soudan] a commencé pendant le ramadan, après le décès de mon mari. Il est mort juste un mois avant le ramadan. Lorsqu’un membre de la famille décède, cet événement est suivi d’une période de deuil et d’isolement. Je voulais passer 54 jours isolée… en restant en permanence chez moi. Je suis restée dans ma chambre pour ne voir personne.

Lorsque les bombardements et les tirs ont commencé dans le sud de Khartoum, j’ai été obligée de fuir ma maison. J’ai emmené ma famille avec moi. Nous avons décidé de partir de nuit et de prendre un bateau qui nous amènerait de Khartoum à Wad Madani. Le mari de ma fille ayant été arrêté, j’ai dû guider seule ma famille pendant ce voyage très dangereux. Nous n’avions rien sur nous :

pas d’argent, pas de nourriture et pas d’eau. Pendant la traversée, j’ai vu circuler les soldats et les véhicules et j’ai entendu le bruit des tirs. Nous avons eu très peur.

Nous avons trouvé refuge à Madani jusqu’à ce qu’un jour de décembre, à 5 heures du matin, les frappes aériennes, les fusillades et les meurtres reprennent.

J’ai amené tous mes enfants dans la rue. La fille de mon cousin a été enlevée de chez elle… elle a 16 ans. Nous ne savons pas où elle est, si elle est en sécurité ou pas.

Personnes déplacées vivant dans le campus de l’université de Zalingei, dans l’État du Darfour-Central. Soudan, 2024. © Juan Carlos Tomasi/MSF

La seule période sûre pour quitter Madani était à 10 h du matin. Nous avons ensuite marché pendant cinq ou six heures jusqu’à Haddad. Là encore, pas d’eau ni de nourriture. Mon fils aîné est resté à Madani. J’avais peur de l’emmener avec moi. Il est toujours là-bas. C’est beaucoup plus difficile pour les hommes : s’ils sont arrêtés, ils sont recrutés de force pour combattre.

J’ai essayé d’y retourner pour aller chercher mon fils. J’ai peur de le laisser faire la route tout seul. Si j’y retourne, au moins il pourra faire le voyage avec moi et je pourrai me mettre devant et négocier son passage si nécessaire. Je ne veux pas le laisser partir seul.

Aujourd’hui, la vie est différente. Ici, il ne se passe rien; les conditions semblent sûres. Pourtant, je sais que les choses peuvent changer rapidement. Les conditions de vie sont difficiles ici… nous vivons dans la cuisine de l’école, avec d’autres familles. Nous n’avons qu’un seul lit dans lequel je dors parce que je suis plus âgée. Les autres dorment sur les bancs en bois de l’école.

Je suis malade. Je souffre d’hypertension et, à cause du conflit, cela fait 10 mois que je n’ai pas pris mes médicaments. Où trouverais-je l’argent pour les acheter? Je n’ai pas les moyens. J’ai essayé de gagner de l’argent et de travailler ici. L’assistance que nous recevons n’est pas suffisante. Je dois trouver un emploi. J’aimerais cuisiner des plats traditionnels pour gagner de l’argent. Je fais ce que je peux. Parfois, certaines organisations font des distributions, mais ce n’est ni suffisant ni régulier. J’ai huit enfants. Ils vont encore à l’école, alors je dois payer leurs frais de scolarité.

Si je pense à ce qu’il se passe, et à ce qu’il s’est passé, j’ai peur et ne me sens pas en sécurité. Je veux que ma famille soit réunie au même endroit. Tout peut encore arriver ici. Je n’arrive pas à croire que tout ait changé aussi vite. Les gens doivent savoir ce qu’il se passe ici. Ils doivent connaître les faits et la réalité, et non les mensonges qu’on raconte dans les médias. Voilà ce qu’il se passe vraiment au Soudan.

*Le nom a été changé pour protéger l’identité de cette personne.

LE 15 AVRIL 2023, D’INTENSES COMBATS ONT ÉCLATÉ AU SOUDAN AVEC DES VAGUES DE TIRS, DE BOMBARDEMENTS ET DE FRAPPES AÉRIENNES.

Les affrontements entre les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide ont piégé des millions de personnes au cœur de ce conflit survenu soudainement. Nombre d’entre elles ont été contraintes de fuir leur foyer. L’accès aux services essentiels, comme les soins de santé, est devenu de plus en plus difficile.

Les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) présentes au Soudan ont répondu à la crise dès le départ. Le personnel soignant soudanais, surchargé de travail et souvent non rémunéré depuis des mois, s’efforce quant à lui de dispenser des soins dans des conditions extrêmement difficiles.

Pendant cette crise, les équipes de MSF ont travaillé sans relâche en menant les activités suivantes :

  • opérations chirurgicales d’urgence
  • cliniques mobiles
  • traitement des maladies transmissibles et non transmissibles
  • soins de santé maternelle et pédiatrique
  • soutien en santé mentale
  • soins aux personnes ayant subi des violences sexuelles et sexistes
  • soins de santé sexuelle et génésique
  • services d’eau et d’assainissement
  • dons de fournitures médicales aux centres de santé

Nous poursuivons également certaines des activités médicales mises en place avant le début du conflit.