© Paul Odongo/MSF

« Ce que cette équipe entièrement féminine accomplit est phénoménal »

Une infirmière de MSF examine un enfant aux urgences de l’hôpital provincial de Boost, à Lashkar Gah, dans la province de Helmand. Afghanistan, 2023.
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D’IMPORTANTS DÉFIS POUR LES SOINS DE MATERNITÉ

Pauline Lynch Gynécologue-obstétricienne MSF

Le couple est arrivé à moto. Il est difficile d’imaginer le voyage, car Jamila* était à un stade avancé de sa grossesse et souffrait d’épisodes de convulsions répétées. Afin d’effectuer le trajet de trois heures jusqu’à l’hôpital, le mari de Jamila l’a attachée à son propre corps afin de la maintenir sur la moto pendant qu’ils traversaient, de nuit, la campagne afghane.

À l’hôpital Boost de Lashkar Gah, dans la province de Helmand, en Afghanistan, l’équipe de la maternité de Médecins Sans Frontières (MSF) est entièrement composée de femmes. Chaque année, ces femmes surmontent de nombreux obstacles pour aider des milliers de mères à accoucher en toute sécurité.

Depuis plus de 15 ans, MSF soutient l’hôpital Boost, en collaboration avec le ministère de la Santé publique. Située dans la ville de Lashkar Gah, cette installation se concentre sur la santé maternelle et infantile. Elle fournit également des soins aux quelque trois millions de personnes des zones rurales environnantes.

À l’arrivée du couple à l’hôpital, Jamila était dans un état d’inconscience. Rapidement, des membres du personnel de l’hôpital l’ont mise sur un brancard et les ont emmenés à la maternité.

Alors que les sages-femmes se précipitaient pour s’occuper de Jamila, elles ont demandé à son mari d’attendre à l’entrée de la salle. Toute intervention chirurgicale pratiquée sur une femme exige le consentement écrit d’un parent de sexe masculin. Or, Jamila présentait tous les signes d’une éclampsie, une grave complication de la grossesse qui nécessite souvent une césarienne d’urgence.

Idéalement, les femmes devraient recevoir au moins quatre consultations prénatales au cours de leur grossesse. Lors de ces visites, les membres du personnel soignant vérifient différents paramètres, comme la taille du fœtus, ainsi que la tension artérielle de la mère, l’un des principaux signes avant-coureurs de l’éclampsie.

Cette surveillance est essentielle, car, pour la mère, une hausse de la tension artérielle peut passer inaperçue jusqu’à ce que se manifestent de graves complications. Les reins de la mère peuvent cesser de fonctionner normalement et elle peut souffrir de convulsions. Sans accès à un traitement, les vies du bébé et de la mère sont alors en danger.

Dans le sud de l’Afghanistan, rares sont les femmes qui ont accès aux soins prénataux. C’est particulièrement vrai dans les zones rurales, où les familles doivent parcourir de longs et difficiles trajets pour atteindre une installation de santé. Ces retards dans l’accès aux soins signifient qu’une situation critique peut rapidement devenir une urgence.

« Jamila avait eu des convulsions pendant toute une
journée avant que son mari ne parvienne à l’amener à l’hôpital. »

Jamila avait eu des convulsions pendant toute une journée avant que son mari ne parvienne à l’amener à l’hôpital. Lorsqu’elle est arrivée à la maternité, les membres de notre équipe, entièrement composée de femmes, ont immédiatement mis en place les protocoles d’urgence pour lesquels elles ont été formées.

Elles lui ont administré des médicaments pour arrêter et prévenir d’autres convulsions et l’ont préparée pour une césarienne d’urgence.

En constatant l’efficacité de mes collègues ce jour-là, je me suis sentie extrêmement privilégiée de pouvoir travailler à leurs côtés. L’équipe travaille incroyablement dur pour fournir ce service. Les femmes qui souhaitent travailler sont par ailleurs confrontées à des défis importants en Afghanistan. Elles subissent souvent des pressions de la part des autorités ou même de leur famille pour rester à la maison. Mais le personnel féminin est indispensable dans le secteur des soins de santé, en particulier dans les soins de maternité, puisque seules les sages-femmes et les gynécologues de sexe féminin sont autorisées à exercer.

Cependant, il est très difficile de recruter suffisamment de femmes médecins en raison des restrictions imposées par l’Émirat islamique. Depuis 2021, il est interdit aux femmes de fréquenter l’école secondaire. Depuis 2022, elles ne peuvent plus aller à l’université et, depuis 2024, elles ne peuvent plus non plus étudier dans les instituts de médecine. Lors du changement de gouvernement, en 2021, même les femmes qui étaient en voie d’obtenir leur diplôme de médecine n’ont pas pu terminer leurs études.

Toutes ces lois réduisent énormément le nombre de femmes qualifiées dans le domaine médical, alors qu’il était déjà difficile de recruter des gynécologues et des sages-femmes qualifiées dans la province de Helmand avant 2021.

Sans la détermination de son mari à l’amener jusqu’à nous, et sans les soins rapides et adéquats prodigués par les membres de l’équipe de MSF, Jamila serait certainement morte. Avec une tension artérielle aussi élevée, elle aurait probablement eu un accident vasculaire cérébral ou subi d’importantes lésions.

En fait, peu de temps après son arrivée à l’hôpital dans un état d’inconscience, elle s’est complètement rétablie et a pu rentrer chez elle avec son bébé en bonne santé.

Depuis la fin du conflit en Afghanistan, la situation sécuritaire s’est améliorée et davantage de familles se sentent en confiance de se rendre à l’hôpital afin d’y recevoir des soins. C’est une bonne nouvelle, mais cela signifie également que, sans compter les défis auxquels elle est toujours confrontée, notre équipe est plus occupée que jamais.

« De nombreuses mères se présentent avec
des complications potentiellement mortelles. »

Le bébé de Jamila est l’un des 80 à 100 enfants qui naissent chaque jour à l’hôpital Boost. À tout moment, 10 à 15 femmes peuvent être en train d’accoucher. En raison du manque d’accès aux soins prénataux et des distances qu’elles doivent parcourir, une proportion importante de mères se présentent avec des complications potentiellement mortelles. En outre, jusqu’à 10 % de celles qui se rendent à l’hôpital devront subir une césarienne d’urgence.

J’ai passé toute ma carrière à travailler dans le domaine de la santé des femmes. Et je peux vous affirmer que ce que cette équipe parvient à réaliser, avec des ressources très limitées, est phénoménal.

*Le nom a été modifié pour protéger la vie privée.