« Chaque jour, j’essayais d’obtenir un bon pour l’assistance humanitaire, mais je n’y arrivais pas. Il m’a vue et m’a dit qu’il pourrait m’en obtenir un si je venais avec lui un soir. Je l’ai donc suivi », raconte Gisèle*, survivante de violences sexuelles en République démocratique du Congo (RDC).
Pour des centaines de milliers de personnes déplacées en RDC, la survie est une lutte quotidienne. Outre l’impact psychologique d’un conflit incessant et l’abandon forcé de leurs maisons, beaucoup, en particulier les femmes et les filles, sont exposés à la violence sexuelle dans et autour des camps de personnes déplacées.
Pour la seule année 2023, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) ont contribué à soigner, à travers le pays, plus de 25 000 personnes ayant survécu à des violences sexuelles. Cela représente plus de deux personnes par heure. Sur ce total, une personne survivante sur dix était mineure.
Présentés dans le rapport rétrospectif de Médecins Sans Frontières (MSF) intitulé Nous appelons à l’aide, ces chiffres sont de loin les plus élevés jamais enregistrés par MSF dans le pays. Ces chiffres alarmants ont d’ailleurs encore augmenté au cours des premiers mois de 2024.

De nombreuses personnes déplacées en raison du conflit qui sévit dans les provinces de l’est de la RDC sont exposées aux violences sexuelles.
L’AMPLEUR CATASTROPHIQUE DES VIOLENCES SEXUELLES AU NORD-KIVU
Une grande majorité des personnes traitées par MSF pour des violences sexuelles en 2023, soit plus de 91 %, provenaient de la seule province du Nord-Kivu.
Depuis 2021, un nombre sans précédent de personnes du Nord-Kivu a été forcé de fuir en raison des affrontements entre le groupe M23, l’armée congolaise et leurs alliés respectifs. Nombre d’entre elles se sont installées à Goma et dans ses environs, dans des camps surpeuplés où l’accès à l’eau, à des abris sûrs et à des installations sanitaires est limité.
Au fil des semaines, les équipes de MSF ont constaté une augmentation du nombre de personnes survivantes de violences sexuelles accueillies dans nos installations. Presque toutes les personnes à qui nous avons offert des soins étaient des femmes. L’année dernière, le nombre de personnes reçues par MSF pour des violences sexuelles, à Goma et dans les environs, a fortement augmenté. En mars 2024, MSF recevait une moyenne de 100 individus par jour.
Qu’elles aillent chercher du bois ou de l’eau, qu’elles travaillent dans les champs ou qu’elles dorment dans leurs abris, les témoignages des survivantes montrent que les femmes ne sont nulle part en sécurité. Les deux tiers d’entre elles ont été attaquées sous la menace d’une arme.
Si la présence massive d’hommes armés dans et autour des sites de déplacement explique cette hausse catastrophique des violences sexuelles, l’inadéquation de la réponse humanitaire et les conditions de vie inhumaines dans ces sites aggravent encore la situation.
Devant l’accès limité à la nourriture, à l’eau et à des moyens de subsistance adéquats, de nombreuses femmes n’ont d’autre choix que de se rendre dans les champs voisins pour ramasser du bois de chauffage qu’elles vendront ensuite. Là où se trouvent justement de nombreux hommes armés. Le manque d’assainissement et d’abris sûrs rend également les femmes et les filles plus vulnérables aux attaques.
« D’autres femmes nous disent qu’elles préfèrent rentrer chez elles [dans leur village d’origine, même si la guerre se poursuit là-bas], parce qu’au moins elles avaient leurs projets et elles ne manquaient pas de nourriture. »
Parfois, on leur dit : « Je te donnerai de la nourriture si tu couches avec moi », explique Daddy, sage-femme chez MSF. « D’autres femmes nous disent qu’elles préfèrent rentrer chez elles [dans leur village d’origine] même si la guerre se poursuit là-bas, parce qu’au moins elles avaient leurs projets et ne manquaient pas de nourriture. »
Les chiffres dont nous disposons ne traduisent pas pleinement l’intensité de la crise. De nombreuses femmes ne se rendent pas dans les installations sanitaires. Parfois, elles ne savent pas qu’un traitement est disponible. Plusieurs ont également peur d’être rejetées par leur famille ou leur communauté en raison de la stigmatisation.
« Après mon agression, les connaissances de mon mari lui ont conseillé de m’abandonner. Maintenant, je vis seule avec mes quatre enfants », raconte Maria*, une jeune femme enceinte à qui MSF offre des soins.
« Sur papier, il semble y avoir de nombreux programmes pour prévenir et répondre aux besoins des personnes ayant survécu à des violences sexuelles », explique Christopher Mambula, responsable des programmes de MSF en RDC. « Mais dans les sites de déplacement, nos équipes luttent chaque jour pour rediriger les personnes survivantes qui ont besoin d’aide. Les quelques programmes qui existent sont toujours trop précaires et manquent cruellement de ressources. »
APPELS URGENTS À L’ACTION
Les violences sexuelles constituent une urgence médicale et humanitaire majeure en RDC. Sur la base des besoins exprimés par les personnes survivantes et en s’appuyant sur les travaux antérieurs pour résoudre cette crise de longue date, MSF appelle à une action urgente dans trois domaines principaux.
- Toutes les parties au conflit doivent veiller au respect du droit humanitaire international.
- Les conditions de vie dans les sites des personnes déplacées doivent être améliorées.
- Il faut investir spécifiquement dans l’amélioration des soins médicaux, sociaux, juridiques et psychologiques pour les personnes ayant survécu à des violences sexuelles.
Il est essentiel que les acteurs humanitaires et les autorités redoublent d’efforts pour améliorer les conditions de vie et la prise en soins des individus qui se trouvent dans les camps de personnes déplacées, et dans l’ensemble du pays.
* Les noms ont été modifiés pour protéger la vie privée.
UNE COMMUNAUTÉ DE SOUTIEN CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES
Un groupe de femmes se tient debout dans une salle de classe, applaudissant et chantant. C’est ainsi que commence une session régulière de l’école des femmes de Salambabila, en République démocratique du Congo (RDC). L’école, fondée par Mama Hortense, est un espace sûr où les femmes se réunissent pour partager leurs expériences et leurs préoccupations concernant les violences sexuelles.
Année après année, Médecins Sans Frontières (MSF) est le témoin direct de l’ampleur et de l’impact des violences sexuelles en RDC, notamment à Salambabila. De nombreuses personnes doivent surmonter bien des obstacles pour obtenir des soins. Citons à cet égard le manque d’informations, les longues distances à parcourir et la peur de la stigmatisation.
Pour briser ces barrières, MSF travaille avec les membres de la communauté. Ensemble ils et elles organisent des activités de sensibilisation et de partage d’informations sur ce qu’il faut faire en cas d’agression.
« Quand j’ai vu que les femmes de Salamabila et de Kambambare souffraient beaucoup, j’ai accepté de travailler avec MSF et d’aider des femmes comme moi », explique Mama Hortense. « Au départ, nous nous sommes rencontrées tous les dimanches pour discuter, sensibiliser et socialiser… Nous sommes surtout des femmes, mais même les hommes viennent nous voir quand ils ont un problème. »
Certaines femmes restent à la fin de la session pour pouvoir parler en toute confiance avec le personnel de MSF.
LA SOLIDARITÉ AU CŒUR DES SOINS
Les femmes de ce réseau sont les premières à s’occuper des personnes survivantes. Elles aident à fournir les premiers soins essentiels et redirigent les cas graves à l’équipe de MSF à l’hôpital régional de Salamabila. À l’hôpital, un système a été mis en place pour faciliter l’accès aux soins médicaux. Les survivants et les survivantes utilisent un mot de passe pour demander des soins en toute discrétion.
« Après cette horrible nuit, j’ai tout le temps vécu dans la peur », raconte Mona*, une survivante. « J’ai eu beaucoup de mal à nourrir mes enfants, mais depuis qu’Alice [l’assistante sociale de MSF] m’a aidée, je vends du charbon et je peux à nouveau nourrir ma famille. »