| Haïti

L’impact de la violence sur l’accès aux soins et le personnel de santé

Une personne blessée au pied lors d’affrontements entre groupes armés et forces de police est opérée à l’hôpital Tabarre de MSF. Haïti, 2024. © Réginald Louissaint Junior
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Dre Priscille Cupidon Responsable des activités médicales MSF

Je travaille comme médecin à Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, et j’entends tous les jours des coups de feu, alors que les groupes armés et la police se disputent le contrôle de notre ville.

Ce type d’affrontements a commencé il y a plusieurs années, mais depuis le début de l’année, ils sont devenus de plus en plus violents. On dirait que nous sommes en guerre. Le 28 février, il a été annoncé que les élections pourraient être reportées en août 2025. Des groupes civils armés ont réagi en s’unissant contre le gouvernement, attaquant des postes de police, des bureaux administratifs, des banques, des installations portuaires et aéroportuaires, et d’autres institutions de l’État. Cela a empêché le premier ministre de rentrer en Haïti, car les aéroports étaient fermés.

La violence est comme une gangrène : elle se propage et menace chacun et chacune d’entre nous.

Dans toute la ville, de nombreuses personnes ont fui parce que leur maison a été incendiée ou pillée par des groupes qui ont attaqué leur quartier. Plus de zones se vident au fur et à mesure que le conflit progresse. Des dizaines de milliers de gens se sont mis à l’abri dans des écoles, des églises ou des terrains de sport et vivent dans des conditions indignes avec peu d’intimité.

D’autres restent dans des maisons maintenant invivables, exposées aux tirs croisés et aux pillages. Les violences récentes ont rendu l’accès à l’eau potable plus difficile dans certains quartiers, les camions-citernes ne pouvant les réapprovisionner.

DES INTERVENTIONS HUMANITAIRES REQUISES IMMÉDIATEMENT

Port-au-Prince fait face aujourd’hui à une crise humanitaire qui exige une action immédiate, en particulier pour répondre aux besoins essentiels tels que les soins de santé, l’eau et l’assainissement.

Je dirige une clinique mobile de MSF qui fournit des soins de santé dans certains quartiers chroniquement touchés par la violence. Nous constatons les effets directs et indirects de la violence sur la santé de nos patients et nos patientes. Il s’agit notamment d’adultes qui peinent à gérer une maladie chronique comme le diabète, et d’enfants souffrant de fièvre et de diarrhée. Le stress extrême provoque souvent des traumatismes mentaux ou de l’hypertension. De nombreuses personnes ont attrapé des infections cutanées dues à un manque d’eau pour assurer leur hygiène.

Notre équipe s’est rendue le 19 mars dans un quartier au centre-ville, auquel nous n’avions pas eu accès depuis le 29 février. Les besoins médicaux y sont très importants et ne feront qu’augmenter maintenant que les soins de santé sont limités. Par exemple, nous avons vu des malades souffrant de tuberculose qui, en raison des conflits et des tensions entre les différentes zones, ne se sentent pas suffisamment en sécurité pour quitter le quartier afin d’être soignés. Les barricades et les combats à Port-au-Prince ont aussi empêché le personnel de notre clinique mobile de se rendre au travail, laissant ces personnes dans une situation précaire.

SOUTENIR LES PERSONNES AYANT SUBI DES VIOLENCES SEXUELLES

Ces derniers mois, les femmes que nous avons examinées dans nos cliniques mobiles sont souvent des survivantes de violences, y compris de viols. Nombre d’entre elles sont déjà enceintes ou atteintes d’une infection sexuellement transmissible. En tant que médecin et en tant que femme, je peux dire que beaucoup ont peur d’en parler, parce que la menace est toujours présente. La stigmatisation sociale rend également les personnes survivantes réticentes à se manifester, car elles ne veulent pas que leur famille et leur voisinage sachent ce qui leur est arrivé. Nous faisons tout notre possible pour que ces femmes se sentent en sécurité lorsqu’elles se confient à nous. Nous les accompagnons à notre clinique spécialisée dans la prise en charge des violences sexuelles.

La violence empêche aussi les patients, les patientes et le personnel de se rendre chaque jour dans les établissements médicaux. Certains hôpitaux, comme l’Hôpital universitaire d’État d’Haïti, ne peuvent actuellement pas fonctionner. Un autre hôpital universitaire, Saint-François de Sales, a été complètement vandalisé, et les médecins ne peuvent plus y terminer leur formation. Le seul hôpital universitaire public en activité est celui de La Paix, mais il est souvent surchargé et manque de ressources. Malheureusement, un plus grand nombre de personnes ayant besoin de soins urgents, comme pour une grossesse à risque, pourraient en mourir.

Comme d’autres spécialistes, les prestataires de services de santé ont personnellement fait les frais de la violence à mesure que la situation dégénérait. Beaucoup de médecins et d’effectifs du secteur de la santé ont quitté le pays pour les États-Unis ou ailleurs. Aujourd’hui, nous ne sommes plus qu’un petit nombre.

« Ceux et celles d’entre nous qui sont encore en Haïti font de leur mieux pour apporter une assistance. Cependant, nous avons aussi besoin de soutien… parce que nous sommes témoins de beaucoup de violence et de cruauté. »

Le principal port et l’aéroport d’Haïti ont été fermés pendant des mois, et la République dominicaine a renforcé les restrictions à la frontière. Compte tenu de l’agitation, le départ d’Haïti des spécialistes, y compris les médecins et autres membres du personnel de la santé, pourrait s’accélérer lorsque les voyages redeviendront envisageables.

Ceux et celles d’entre nous qui sont encore en Haïti font de leur mieux pour apporter une assistance. Cependant, nous avons aussi besoin de soutien, en particulier de soutien en santé mentale, parce que nous sommes témoins de beaucoup de violence et de cruauté.

Nous aimerions pouvoir retrouver au moins la sérénité que nous avions il y a quelques années. Aujourd’hui, nous travaillons, nous rentrons chez nous et nous nous enfermons comme dans une cage. Je suis convaincue que tous mes frères et sœurs haïtiens se joindront à moi pour dire qu’actuellement nous avons envie de vivre. C’est un droit que nous avons perdu.

Vue du quartier de Delmas 18 à Port-au-Prince après des combats entre groupes armés et forces de l’ordre. Haïti, 2024. © Corentin Fohlen/Divergence