Les tristes conséquences d'une attaque barbare contre un hôpital

Décembre 2019, maternité de l’hôpital Dasht-e-Barchi : Une nouvelle mère se repose après la naissance de son premier enfant, tandis qu’une infirmière s’occupe du nouveau-né. © Sandra Calligaro
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Joe Belliveau

Le matin du 12 mai, j’ai appris à mon réveil qu’un crime répugnant avait été commis à la maternité d’un hôpital soutenu par Médecins Sans Frontières (MSF) à Kaboul, en Afghanistan.

Peu après 10 heures, des assaillants ont pris d’assaut l’hôpital Dasht-e-Barchi, se sont rendus directement dans l’unité pleine de bébés, de nouvelles mères et de femmes enceintes, et ont commencé à tirer sur des
femmes dans leur lit.

« C’était méthodique », explique Frédéric Bonnot, responsable des programmes de MSF en Afghanistan. « Les murs étaient criblés de balles; il y avait du sang sur le sol des chambres, des véhicules brûlés et des fenêtres cassées. »

L’attaque est survenue à un moment occupé de la journée, où il y avait 26 mères dans la maternité. Certaines ont réussi à se mettre à l’abri. Sur les 17 qui n’ont pas pu le faire, six ont été blessées et 11 abattues, dont trois dans la salle d’accouchement. Les patientes et le personnel de la maternité qui ont réussi à se rendre dans des chambres sécurisées de l’hôpital ont pu entendre des explosions et des tirs qui venaient de partout. L’attaque a duré quatre heures, qui ont semblé éternelles.

Certaines patientes ont été évacuées vers les hôpitaux environnants. Deux enfants de moins de 10 ans ont également perdu la vie — ils étaient à l’hôpital pour des vaccinations de routine.

Malgré un accord de paix signé en février dernier entre les Américains et les Talibans, l’Afghanistan est toujours en guerre, et la violence est omniprésente. Mais ce qui s’est passé le 12 mai est d’une horreur inqualifiable.

« C’est choquant. Nous savons que ce secteur a été la cible d’attaques par le passé, mais personne ne pouvait s’attendre à ce qu’il y ait une attaque contre une maternité », explique Frédéric Bonnot. « Ils sont venus pour tuer les mères. »

Assis chez moi au Canada, isolé en raison de la COVID-19, j’éprouve de l’indignation, de la tristesse et de la répugnance. Comment les survivantes traversent-elles cette épreuve? Un événement aussi horrible touche une corde sensible et si profonde. Nous avons également perdu une collègue MSF dans l’attaque. Une sage-femme. Je ne la connaissais pas personnellement, mais nous travaillions selon les mêmes principes MSF, qui nous engagent à fournir une assistance aux personnes en détresse, qui qu’elles soient et où qu’elles se trouvent.

Concrètement, tout ce que je fais ici au Canada est en soutien aux efforts de cette femme et de tous les employés MSF de première ligne. C’est ce qui rend sa mort encore plus douloureuse pour moi, et qui accroît encore plus mon indignation.

Rien ne peut effacer la douleur d’une telle tragédie. Mais nous ne sommes pas impuissants. Nous pouvons redoubler notre détermination et canaliser notre compassion envers les survivantes, leurs communautés et les autres personnes prises dans des situations dangereuses à travers le monde. Et nous pouvons canaliser notre colère pour rejeter toute normalisation de meurtres commis dans un hôpital.

Même dans la guerre, il y a des règles à respecter. Le droit international humanitaire ne légifère pas contre la guerre en soi, mais il défend un espace humanitaire dans son cadre. Les non-combattants sont protégés, tout comme les espaces civils, en particulier les hôpitaux. Autrement dit : les hôpitaux ne sont pas des cibles!

Les attaques délibérées et les bombardements contre les structures de santé, en Afghanistan, au Yémen, au Soudan du Sud et ailleurs, ont horriblement augmenté ces dernières années, et il ne faut pas accepter que cela devienne la norme. Comme l’a déclaré la médecin canadienne et ancienne présidente de MSF, Joanne Liu, en 2015 après le bombardement militaire ciblé d’un hôpital soutenu par MSF à Kunduz, en Afghanistan : « La guerre ne peut enterrer l’éthique médicale. »

Que notre indignation s’élève par rapport à l’éthique ou aux règles de la guerre, nous devons continuer d’insister fortement pour protéger un espace, même au milieu des conflits les plus violents, où nous pouvons prendre soin les uns des autres et exprimer notre humanité. Les cadres des lois et des normes éthiques sont les mécanismes par lesquels nous convenons — collectivement en tant qu’États, institutions et individus — de se protéger et de s’entraider, en particulier lorsque nous sommes les plus vulnérables. Il est difficile d’imaginer un moment de plus grande fragilité et de plus grande vulnérabilité qu’un accouchement.

Décembre 2019, maternité de l’hôpital Dasht-e-Barchi : Une infirmière s’occupe d’un nouveau-né qui a été placé dans un incubateur en raison d’hypoglycémie. © Sandra Calligaro

En tant qu’humanitaires et travailleurs médicaux, nous n’avons que nos soins et notre voix à offrir. Défendre un espace humanitaire demande plus que cela. Les gouvernements, les groupes armés et les institutions mondiales ont le pouvoir et la responsabilité de protéger.

Pour le moment, MSF a suspendu son soutien à la maternité de l’hôpital Dasht-e-Barchi. Et voici la tragédie collatérale : moins de soins médicaux pour les mères et les bébés dans cette zone de couverture hospitalière de plus de 1,5 million de personnes. Tout notre personnel, y compris les sages-femmes, les médecins, les préposés à l’entretien, les infirmiers, les cuisiniers, les gardiens et le personnel administratif, fournit des services inestimables aux femmes qui ont besoin de soins essentiels. Le taux de mortalité maternelle est déjà extrêmement élevé en Afghanistan — plus de 60 fois plus élevé qu’au Canada. Il est donc prévisible que les décès insensés ne se sont pas arrêtés le 12 mai.

À un moment où nous célébrons le courage de nos travailleurs de la santé de première ligne dans la lutte mondiale contre la COVID-19, profitons de cet élan et de notre indignation face à cette attaque pour réaffirmer notre détermination globale à protéger les patients, les hôpitaux et les travailleurs de la santé partout dans le monde. Ils ne sont pas des cibles.

(Cet article a initialement été publié dans le Toronto Star, le 27 mai 2020).

Le 15 juin, MSF a annoncé sa décision de mettre fin à ses activités et de se retirer de Dashte- Barchi, à la suite de l’attaque brutale du 12 mai.

Cette décision a été prise sachant que, bien qu’aucune information n’ait émergé sur les auteurs et le mobile de la tuerie, les mères, les bébés et le personnel de santé ont été délibérément visés et que des attaques similaires pourraient survenir de nouveau.

« Rester signifierait que nous devons considérer les pertes de vies humaines comme un paramètre de notre activité, ce qui est inconcevable », explique Thierry Allafort-Duverger, membre de la direction à MSF.