| République démocratique du Congo

« Nous craignons une flambée de maladies »

Un camp à Goma, où vivent des milliers de personnes déplacées en raison des combats en cours dans le Nord-Kivu. République démocratique du Congo, 2024. © Marion Molinari/MSF
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Alors que les combats poussent de nouveau des milliers de personnes à la fuite, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, MSF émet une alerte sur les risques d'une nouvelle propagation de maladies dans ces sites surpeuplés et insalubres.

Abdou Musengetsi Coordonnateur médical adjoint MSF

Après deux ans de conflit, les combats entre le groupe armé M23, les forces congolaises et leurs groupes alliés se sont encore intensifiés à la fin du mois de janvier dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Les affrontements ont atteint la frontière de la province du Sud-Kivu, provoquant de nouveaux déplacements de population. Selon l’agence des Nations Unies pour les migrations, plus de 1,6 million de personnes ont été contraintes d’abandonner leur foyer depuis mars 2022, dans une région déjà ravagée par 30 ans de conflit.

Quelles sont les conséquences directes de cette nouvelle flambée de violence?

Cette année, de violents affrontements dans le territoire de Masisi, au Nord-Kivu, ont provoqué un nouvel exode autour de Sake puis vers Goma, la capitale provinciale. En 10 jours seulement, près de 250 000 personnes ont fui les combats. Elles se sont réfugiées dans des familles d’accueil ou ont établi de nouveaux campements non officiels, principalement à l’ouest de Goma. Dans ces sites, les familles se massent dans des abris de fortune qui n’offrent que peu ou pas de protection contre la pluie. Les gens nous disent qu’ils peinent à obtenir de la nourriture et de l’eau potable. Des centaines de personnes sont obligées de partager une seule latrine et n’ont nulle part où se laver.

Dans la zone de santé de Minova, à la clinique de Kishinji, Austère Kanane, psychologue de MSF, parle du problème de la violence sexuelle avec des personnes
vivant dans le secteur et des personnes déplacées. Il explique comment aider une personne ayant subi des actes de violence et où l’orienter pour recevoir des
soins médicaux. République démocratique du Congo, 2024. © Hugh Cunningham

Une femme récemment arrivée à Goma nous a raconté qu’elle avait pris la fuite sans rien emporter d’autre que ses enfants et les vêtements qu’elle portait. À mesure que les combats se rapprochaient, elle a été contrainte de fuir à plusieurs reprises. Aujourd’hui, elle vit complètement démunie dans ce camp qu’elle ne peut quitter en raison de l’insécurité dans sa région d’origine.

Les deux hôpitaux et plusieurs centres de santé soutenus par MSF dans le territoire de Masisi ont reçu un afflux de personnes blessées dans les affrontements. Au cours des deux derniers mois, les équipes de l’hôpital de Mweso, géré par le ministère de la Santé et soutenu par MSF, ont pris en charge plus de 140 personnes, surtout pour des blessures par balle et causées par des explosions. Les principaux axes routiers vers le nord, l’ouest et le sud de Goma sont quasiment impraticables en raison de l’insécurité et des combats. Il est donc extrêmement difficile d’acheminer du matériel essentiel vers ces zones. Cette situation a gravement entravé l’accès à l’aide humanitaire et médicale pour les centaines de milliers de personnes présentes dans le territoire de Masisi.

LES GENS SOUFFRENT DE MALADIES LIÉES À LA DÉGRADATION DE LEURS CONDITIONS DE VIE.

Parallèlement, les combats à la frontière du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ont provoqué la fuite de dizaines de milliers de personnes. Elles sont allées majoritairement vers le sud, en direction de la ville de Minova qui accueillait déjà de nombreuses personnes déplacées. Les gens s’abritent où ils peuvent, comme dans des écoles et dans des dizaines de sites différents. Certaines structures de santé que nous soutenons ont été submergées par des gens souffrant de maladies liées à la dégradation de leurs conditions de vie.

Près de Goma, Eric construit une tente pour sa famille dans un site accueillant les personnes déplacées par les affrontements. République démocratique du Congo,
2024. © Marion Molinari/MSF
Quelles sont les principales sources d’inquiétude pour MSF concernant la santé des gens?

Les combats ont contraint des milliers de gens à s’installer dans des sites surpeuplés et insalubres. Nous craignons donc une flambée de maladies, en particulier le choléra. Si l’on ajoute à cela le manque d’accès à l’eau potable, on obtient un cocktail explosif pour la propagation du choléra. Depuis plusieurs mois, MSF fait déjà face à cette situation dans certains sites, et le nouvel afflux de personnes risque de raviver cette épidémie.

Avant la résurgence de ce conflit, la situation sanitaire dans ces provinces était déjà désastreuse, en raison notamment de la faible couverture vaccinale chez les enfants de moins de cinq ans. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, cette couverture vaccinale est la plus basse depuis une trentaine d’années. Le mauvais fonctionnement des structures de santé, entre autres à cause de la pénurie de médicaments et du manque de personnel de santé qualifié, aggrave encore cette situation.

Les équipes de MSF ont aidé les autorités locales à répondre aux épidémies récurrentes de rougeole et de choléra, qui se sont intensifiées l’an passé à la suite des arrivées massives. Nous apportons également notre soutien pour améliorer l’accès aux soins de santé primaires et secondaires, en particulier dans les zones de santé les plus isolées telles que Masisi, Mweso ou les Hauts-Plateaux de la zone de santé de Minova.

Quels sont les risques pour la population si le nombre de cas de choléra augmente?

Si elle n’est pas traitée à temps, cette maladie peut être mortelle. Les enfants sont les plus vulnérables et peuvent mourir du choléra en quelques jours seulement. Selon la gravité, la plupart des malades ont rapidement besoin d’une réhydratation orale ou intraveineuse. Certaines personnes peuvent aussi être soignées chez elles si des points de réhydratation orale sont mis en place. Ces derniers mois, les équipes de MSF ont traité des milliers de gens atteints de choléra dans les sites de déplacement de Goma et de ses environs.

L’augmentation des cas de choléra est directement liée au manque d’hygiène, d’eau potable et d’installations sanitaires telles que des latrines et douches propres.

Au nord de Goma, Francine, originaire de Kiwanja, dans le territoire de Rutshuru, traverse le site de Kanyaruchinya pour personnes déplacées où elle vit.
République démocratique du Congo, 2024. © Philémon Barbier
Que fait MSF pour prévenir une épidémie?

En réponse au manque d’accès à l’eau potable, MSF a construit, l’année dernière, une station de pompage et de chloration de l’eau sur les rives du lac Kivu. Cet équipement pompe et désinfecte quotidiennement jusqu’à deux millions de litres d’eau potable. Sur les sites de déplacement, nous avons aussi distribué par camion-citerne des centaines de milliers de litres d’eau potable par jour, et avons installé des latrines et des douches. Il ne s’agit toutefois que d’une intervention d’urgence, et cela ne suffit pas à combler les besoins, encore moins avec les nouvelles arrivées. Il est urgent que d’autres organisations humanitaires et les autorités congolaises réagissent, en acheminant au plus vite de l’eau et en construisant des latrines supplémentaires.

Nous continuons à vacciner et à traiter les gens contre le choléra. L’année passée, plus de 20 000 personnes ont été soignées dans le Nord et le Sud-Kivu. Mais, si les conditions d’hygiène ne s’améliorent pas, notre intervention n’aura que peu d’impact. Vu l’ampleur des besoins et le nombre de gens vivant dans cette très grande précarité, nous craignons une explosion du choléra et que MSF ne soit pas en mesure de traiter seule toutes les personnes tombant malades. D’autres organisations humanitaires doivent intervenir d’urgence pour éviter une catastrophe sanitaire.