Le nord-ouest du Nigéria est en proie à une crise nutritionnelle causée par une combinaison de facteurs qui s’avère désastreuse : des gens chassés de leur foyer par la violence, des changements environnementaux, des années de maigres récoltes, une flambée des prix des denrées alimentaires et une crise économique. En réponse, Médecins Sans Frontières (MSF) mène dans l’État de Katsina le plus important projet contre la malnutrition.
Lorsque Musa* arrive au centre de traitement de la malnutrition de MSF à Katsina, l’équipe espère pouvoir stabiliser rapidement ce jeune garçon. Mais les choses sont plus compliquées qu’elles n’y paraissent.
Plusieurs symptômes permettent de diagnostiquer qu’un enfant souffre de malnutrition aiguë sévère, et Musa les présente tous.
Je fais partie de l’équipe de MSF à Katsina, dans le nord-ouest du Nigéria. La malnutrition est un problème à longueur d’année ici. Néanmoins, la situation est pire à la fin du printemps et en été quand la nourriture de la dernière récolte commence à manquer et que commence ce qu’on appelle la période de soudure.
Nous vivons par ailleurs dans une région régulièrement confrontée à des conflits armés et à l’insécurité. Il est donc difficile pour les gens de cultiver leurs terres, et il est souvent ardu, voire impossible de se faire vacciner contre des maladies associées à la malnutrition, comme la rougeole.
Ces facteurs conjugués sont catastrophiques : l’année dernière à Katsina, MSF a pris en charge plus de 107 000 personnes souffrant de malnutrition aiguë, dont 13 000 ont dû être hospitalisées.
MSF compte six centres de nutrition ambulatoires répartis sur l’ensemble de Katsina. Toutefois, la nutrition ne suffit pas. Les enfants souffrant de malnutrition sont plus susceptibles de tomber malades, et sont beaucoup plus à risque de succomber à leur maladie que des enfants bien nourris. Pour cette raison, il est essentiel de fournir des services médicaux en sus du programme alimentaire. Les besoins de notre région sont si pressants que nous avons dû ouvrir deux centres hospitaliers.
C’est ainsi que Musa est venu à nous. Lorsqu’une fièvre et une toux persistante se sont aggravées, Fatima*, la mère de Musa, l’a emmené pour une consultation auprès de l’équipe locale de soins ambulatoires de MSF. L’équipe a comparé son poids à celui que devrait avoir un enfant de sa taille, mesuré la circonférence du haut de son bras gauche et vérifié l’accumulation de fluide dans les pieds. Des résultats sans appel : Musa souffrait de malnutrition aiguë sévère.
L’équipe a pris des dispositions pour transférer Musa au centre hospitalier de MSF où je suis affecté. Nous avons commencé par lui donner du F-75, un lait thérapeutique spécialement formulé pour les enfants sévèrement malnutris.
Puis, il nous a fallu traiter ses complications médicales. Le petit corps de Musa avait beaucoup de peine à respirer. Nous soupçonnions une pneumonie, complication courante de la malnutrition.
En recevant des soins adéquats, les enfants atteints de pneumonie se rétablissent habituellement au bout de trois à cinq jours.
Mais sept jours après son admission, Musa était toujours très malade. Son petit corps paraissait encore plus minuscule sous son masque à oxygène.
C’est à ce moment-là que Fatima, sa mère, a reçu un appel. Un autre de ses enfants était gravement malade.
Il est difficile d’imaginer ce qu’elle a pu ressentir à cet instant. Elle a expliqué qu’elle et Musa devaient rentrer au village aussi rapidement que possible. Elle espérait qu’avec le traitement qu’avait déjà reçu Musa, il serait en mesure de supporter le trajet.
Avec doigté, nous lui avons expliqué que ce n’était pas le cas. Nous avions déjà essayé trois antibiotiques différents, et Musa était encore très malade. Il dépendait toujours de l’oxygénothérapie. Nous soupçonnions maintenant qu’il était atteint de tuberculose, les symptômes étant très similaires à ceux d’une pneumonie sévère.
L’infirmière en chef, l’équipe de promotion de la santé et moi-même avons collectivement apporté notre soutien à Fatima alors qu’elle était confrontée à ce choix impossible. Elle tenait compte de nombreux facteurs : le temps nécessaire pour faire le trajet dans l’autre sens, jusque chez elle, les personnes sur qui elle pouvait compter pour soigner l’enfant malade à la maison ou s’occuper de ses autres enfants, s’ils tombaient eux aussi malades. Je devinais ce qu’elle pouvait penser : si Musa était trop malade pour survivre, il serait préférable de partir maintenant afin de tout tenter pour donner de meilleures chances à l’autre enfant. Mais s’il y avait de l’espoir…
En tant que médecin, vous ne pouvez pas faire de promesses dans un tel cas. Néanmoins, en discutant avec Fatima du traitement antituberculeux que nous voulions essayer, j’avais l’impression de lui donner ma parole.
Nous nous sommes finalement mis d’accord : nous allions essayer le nouveau médicament et nous examinerions de nouveau la situation dans deux jours.
Deux jours. C’était toujours ça de gagné. Nous avons commencé à administrer le nouveau médicament à Musa. Vingt-quatre heures plus tard, il respirait assez bien pour ne plus avoir besoin d’oxygène. Cependant, il était encore fiévreux. Des progrès, certes, mais pas le rétablissement remarquable dont nous avions besoin.
Le deuxième jour, lorsque j’ai demandé à Fatima quelle était la situation chez elle, elle n’était pas arrivée à obtenir des nouvelles. Elle avait hâte de partir.
Ça ressemblait à un pari. Musa avait encore une forte fièvre.
Les bagages de Fatima étaient néanmoins bouclés. Ensemble, nous avons alors élaboré un plan. Nous allions procéder à un autre test de dépistage du paludisme afin de pouvoir écarter cette possibilité parmi les causes de la fièvre. Nous donnerions à Fatima le médicament et elle suivrait les instructions à la lettre comme le ferait une infirmière qualifiée. Finalement, elle reviendrait le plus tôt possible à l’hôpital pour un suivi.
C’était tout ce que nous pouvions faire.
Je savais bien qu’une visite de suivi pourrait s’avérer difficile. Parmi les patients et les patientes, nombreuses sont les personnes qui parcourent de longues distances pour arriver à notre centre. Ces gens doivent souvent prendre des décisions financières difficiles pour payer les frais de transport. Les défis sont tellement considérables que beaucoup de familles ne reviennent pas du tout.
Le test de dépistage du paludisme était négatif. En voyant partir Fatima avec Musa dans les bras, j’espérais sincèrement que notre plan allait fonctionner.
Une semaine après, Fatima et Musa étaient de retour.
Musa n’avait plus de fièvre et Fatima était dans un état d’esprit enjoué : son autre enfant était lui aussi complètement rétabli. Nous lui avons donné tous les conseils médicaux nécessaires et avons veillé à ce que la famille continue de recevoir un soutien nutritionnel par l’entremise de l’équipe ambulatoire locale.
La détermination de Fatima au cours de ces quelques semaines incroyablement difficiles m’avait profondément marqué. Mais elle ne s’est pas arrêtée là.
Deux semaines plus tard, j’ai reçu un message m’indiquant que j’avais de la visite à l’hôpital. J’ai reconnu immédiatement Fatima. Elle était accompagnée d’un petit garçon bien nourri tenant un cartable. Il m’a fallu quelques instants pour me rendre compte qu’il s’agissait de Musa!
Fatima n’était pas venue pour une consultation médicale. Elle était venue juste pour dire « merci » et nous montrer comment se portait Musa. Le petit garçon frêle que nous avions vu quelques semaines auparavant était maintenant assez bien portant pour aller à l’école.
Parfois, les gens me demandent comment notre équipe évite de perdre espoir. Au pic de la saison de la malnutrition, lorsque nous sommes toutes et tous sollicités au-delà de nos capacités, avec de plus en plus d’enfants gravement malades et malnutris arrivant tous les jours, ce sont des histoires comme celle-ci qui nous donnent l’énergie de continuer.
*Les noms ont été changés pour protéger la vie privée.
Dr Simba Tirima, représentant de MSF au Nigéria
« [Dans le nord-ouest du Nigéria] nous voyons des enfants mourir en se rendant à nos cliniques. Nous voyons des enfants dont l’état de santé est si grave que nous ne pouvons rien faire pour les sauver. Une escalade de la violence, des déplacements, une flambée des prix des denrées alimentaires et les changements climatiques sont les catalyseurs de cette alarmante crise sanitaire et de malnutrition.
Rien qu’en 2022, nous avons pris en charge plus de 140 000 enfants souffrant de malnutrition aiguë dans les États de Zamfara, Katsina, Sokoto, Kebbi et Kano. Dans l’État de Zamfara, le taux d’admission des enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère à nos centres nutritionnels thérapeutiques ambulatoires était de 39 % supérieur à celui de 2021. Dans l’État de Katsina, le nombre d’enfants traités pour malnutrition aiguë sévère a grimpé à près de 80 000, tandis que 12 700 d’entre eux nécessitaient des soins hospitaliers.
L’envergure de cette crise exige une mobilisation nationale et internationale pour apporter une réponse humanitaire adéquate. Nous appelons d’autres organisations à participer et à soutenir les autorités en répondant aux besoins les plus fondamentaux des communautés touchées. Le nord-ouest continue d’être largement ignoré dans le cadre de la réponse et des plans humanitaires globaux des Nations Unies au Nigéria, lesquels se concentrent sur la situation critique du nord-est du pays. Si nous voulons éviter que l’année 2023 ne devienne une autre année catastrophique pour les enfants du nord-ouest du Nigéria, il est primordial de garantir un meilleur accès à des traitements nutritionnels essentiels. Des milliers de personnes en ont besoin maintenant, et en auront besoin pendant la prochaine période de soudure. »