L’engagement communautaire au service de la santé

Des membres du personnel de MSF et du ministère de la Santé visitent un patient à l’unité de soins pédiatriques de l’hôpital général régional d’Angumu. République démocratique du Congo, 2021. © Gabriele Casini / MSF
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Gabriele Casini Coordonnateur volant des communications République démocratique du Congo

Angumu est une région montagneuse de la province de l’Ituri, dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), près de la frontière ougandaise. C’est un endroit isolé où certaines communautés sont parfois difficiles à atteindre. Les quelques routes qui traversent la forêt montagneuse ressemblent à des lits de rivières asséchés. Cahoteuses et recouvertes de gravier, elles ralentissent et compliquent la conduite, surtout pendant la saison des pluies, lorsque la boue épaisse rend certaines d’entre elles impraticables.

En 2018, la violence et les catastrophes envi- ronnementales qui ont sévi dans les régions voisines ont poussé des dizaines de milliers de personnes à s’installer à Angumu. Ces personnes ont trouvé refuge dans des zones proches des villages et le long des routes, créant de nombreux campements, chacun comptant plusieurs milliers de déplacé·e·s. À l’époque, Médecins Sans Frontières (MSF) avait décidé de lancer une intervention d’urgence après avoir estimé à plus de 42 000 le nombre de personnes forcées de quitter leur domicile en quête de sécurité. Depuis, le nombre de personnes déplacées à Angumu a considérable- ment augmenté et il s’élève maintenant à près de 80 000.

« LE PROJET REPOSE SUR UNE APPROCHE COMMUNAUTAIRE CONCERTÉE QUI PERMET AUX MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ DE S’APPROPRIER LEURS PROPRES BESOINS EN MATIÈRE DE SANTÉ. »

Frédéric Manantsoa, coordonnateur national de MSF en RDC, se souvient du début de l’intervention : « Dès notre arrivée, nous avons constaté un grand nombre de personnes atteintes de paludisme et des taux de morta- lité très élevés. Et nous avons vu à quel point il était difficile pour les gens d’accéder aux services de santé essentiels dans cette région isolée en montagne. Alors, nous nous sommes dit : si les gens ne peuvent pas atteindre les établissements médicaux, il nous faut inverser la situation et nous rendre jusqu’à eux pour leur apporter des soins. »

Pour atteindre cet objectif de manière durable, MSF a collaboré avec le ministère de la Santé afin de mettre en place un projet reposant sur un engagement communautaire fort.

« Le projet repose sur une approche communautaire concertée qui permet aux membres de la communauté de s’approprier leurs propres besoins en matière de santé », explique Frédéric Manantsoa. « Il y a une grande participation de la part du ministère de la Santé et de la communauté. Ce sont nos partenaires, et non pas des bénéficiaires qui reçoivent de l’assistance. Ils sont responsables de leur propre santé et, en tant que partenaires, ils partagent la responsabilité du projet. »

Cette structure s’appuie sur trois piliers fondamentaux. Le premier est celui des relais communautaires (que l’on appelle les RECO). Leur rôle est de contribuer à informer les membres de la communauté sur divers sujets touchant la santé, incluant l’hygiène, la planification familiale, les services médicaux disponibles dans la région. Les RECO abordent aussi la prévention de maladies telles que le paludisme et la diarrhée, et la procédure à suivre si un ou une proche tombe malade.

Les RECO sont également invités à rester à l’affût de ce qui se passe au sein de leur communauté où ils surveillent la situation sa- nitaire générale et les besoins de leurs conci- toyens et concitoyennes. Si une personne a besoin de soins médicaux, on l’encourage à consulter les relais des sites de santé commu- nautaire (RECOSITE) qui sont en fait le second pilier. Le personnel des RECOSITE a reçu une formation pour répondre aux cas de palu- disme, de malnutrition et de diarrhée, et peut administrer sur place un traitement de base ou encore orienter les malades vers un centre de santé où ils et elles pourront recevoir des soins plus avancés.

Le troisième pilier est celui des comités de gestion des sites de santé (COGESITE) qui coordonnent tous les aspects pratiques et administratifs des sites de santé communautaire, tels que les horaires de travail et la surveillance de la gratuité des services. Les RECO, les RECOSITE et les membres des COGESITE sont des bénévoles choisi·e·s par leur communauté pour remplir ces rôles importants. Ils et elles sont formé·e·s et soutenu·e·s par MSF, en collaboration avec le ministère de la Santé.

MSF fournit en outre du matériel, de la forma- tion et du soutien aux suivis à l’hôpital général régional d’Angumu, ainsi qu’à sept centres de santé et treize sites de santé communautaire situés à proximité des camps de déplacé·e·s.

Le centre de santé d’Uyandu dans la zone de santé dAngumu. République démocratique du Congo, 2021. © Gabriele Casini / MSF

« Lorsque MSF est arrivée, nous étions confronté·e·s à un nombre élevé de personnes gravement malades, puisqu’elles étaient déjà très malades au moment de se présenter à l’hôpital », se rappelle David Mahomou Nyan- koye, responsable des soins infirmiers de MSF à Angumu.

« Désormais, les membres de la communau-té sont mieux sensibilisés et ils cherchent à obtenir des soins beaucoup plus rapide- ment. Ils se sont familiarisés avec le système des sites de santé communautaire que nous avons mis en place. Maintenant, ils agissent tôt, avant que leur état ne devienne grave, ce qui a entraîné une nette réduction du nombre de décès. » À l’heure actuelle, les centres de santé communautaire dispensent chaque mois environ 7 000 consultations.

ACCENT SUR LA PRÉVENTION

Dans un environnement où le paludisme est endémique et où les conditions de vie sont précaires, la prévention est extrêmement importante. Depuis le début du projet, MSF a réalisé des activités de prévention à grande échelle, comme une distribution massive de médicaments antipaludéens dans les com- munautés, la pulvérisation d’insecticides à effet rémanent dans les maisons et les abris, ainsi que la distribution de moustiquaires. En sensibilisant la population au paludisme et aux autres maladies, les RECO jouent aussi un rôle important dans la prévention.

« Je fais du porte-à-porte et je présente aux gens les bonnes pratiques qui peuvent aider à préve- nir les maladies », explique Pascal, qui vit sur le site de personnes déplacées d’Ugudo Zii et qui a été choisi comme RECO par sa communauté.

« Beaucoup de problèmes sont causés par l’eau qui n’est pas stockée adéquatement; elle devient alors un terrain fertile pour les moustiques, peut devenir contaminée et causer des diarrhées et d’autres problèmes de santé. Parfois, nous rassemblons les gens et nous leur parlons de vaccination, de planification familiale et des critères d’admission dans les centres de santé. Je suis fier de mon travail, et ma communauté l’apprécie. De bonnes pra- tiques d’hygiène et de bonnes connaissances changent vraiment les choses. »

Les RECO reçoivent du soutien de la part des agents et des agentes de promotion de la san- té de MSF, qui les forment et qui supervisent leur travail.

« Quand quelqu’un me pose une question difficile à laquelle je ne sais pas répondre, je consulte les agents et les agentes de promotion de la santé pour qu’ils m’accompagnent et m’aident à donner la bonne information », indique Pascal. C’est avec eux que nous organisons notre travail et que nous planifions nos activités. »

Équipe de relais communautaire sur le site pour les personnes déplacées d’Ugudo Zii. République démocratique du Congo, 2021.
© Gabriele Casini / MSF

Un autre avantage du partenariat avec les communautés est qu’il permet également de prévenir les épidémies.

Selon Frédéric Manantsoa, « cela nous per- met d’exercer une surveillance et d’obtenir des alertes précoces, afin que nous puissions agir à temps pour prévenir les épidémies et autres urgences, ou du moins minimiser autant que possible le besoin de lancer des interventions d’urgence. Avec la prise en charge très précoce des cas simples dans la communauté, nous réduisons considérable- ment le nombre de cas compliqués et graves nécessitant un traitement dans les centres de santé et à l’hôpital. »

SOUTENIR LES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ

Dans les centres de santé et à l’hôpital régional général d’Angumu, les équipes médicales de MSF, qui représentent environ 35 % du personnel, soutiennent le ministère de la Santé. Les équipes MSF fournissent des soins pédiatriques aux enfants âgés de moins de 15 ans et des traitements contre le paludisme à tous les groupes d’âge. Elles offrent également du soutien en santé mentale et des soins de santé reproductive, y compris la planification familiale, et gèrent les cas de malnutrition modérée. Pour permettre aux gens d’atteindre les établis- sements de santé, MSF a mis en place un système de transport utilisant des motos et des ambulances pour conduire rapidement les patients et les patientes depuis les sites de santé communautaire jusqu’aux centres de santé ou jusqu’à l’hôpital.

MSF offre aussi un soutien aux victimes de violences sexuelles en collaboration avec les comités de protection présents dans chacun des sites pour personnes déplacées.

Virginie Ucida a fui le conflit dans la région de Musongwa. Elle est arrivée il y a sept mois au site d’Ugudo Zii pour déplacé·e·s où elle est membre du comité de protection du site.

« Dans les camps de déplacé·e·s densément peuplés, les femmes se retrouvent en situation de vulnérabilité et les incidents de violences sexuelles sont fréquents », explique-t-elle. « Nous travaillons en étroite collaboration avec les RECO et nous dirigeons ensemble les victimes vers les RECOSITE, qui à leur tour contactent MSF afin que la victime puisse recevoir des soins médicaux et un soutien en santé mentale. Ce processus est strictement confidentiel, ce qui est très important, car les victimes ont tendance à éprouver de la honte et à être stigmatisées. Nous sommes reconnais- sants et reconnaissantes pour le soutien offert par MSF. »

UN ENGAGEMENT COMMUNAUTAIRE NÉCESSAIRE À TOUS LES NIVEAUX

La collaboration avec la communauté ne se li- mite pas aux activités de sensibilisation ou à la prise en charge des patients et des patientes atteint·e·s de paludisme, de diarrhée et de malnutrition. Elle englobe aussi la construc- tion d’établissements et d’infrastructures, comme des sites de santé communautaire, des latrines et des puits, la distribution d’ar- ticles essentiels, savon, moustiquaires, etc., et la gestion des médicaments dans les sites de santé communautaire.

Abdurakhman Bodian est responsable de la promotion de la santé pour MSF à Angumu. Il peut témoigner des retombées positives de cette approche.

« Lorsque nous avons amorcé notre inter- vention, MSF s’occupait de tout, même du transport de l’eau dans la communauté », dit-il. « Cela n’était pas durable, d’autant plus qu’il y a très peu d’autres organisations qui œuvrent à Angumu. Aujourd’hui, nous avons réussi à responsabiliser la communauté, et nous en sommes arrivé·e·s au point où toute la construction et tous les autres efforts logis- tiques se font de concert avec elle. MSF fournit le matériel nécessaire et la communauté se charge du reste. Sa participation est inclusive dès le départ, depuis la construction jusqu’à la gestion des sites de santé.

MSF s’active maintenant à renforcer la rési- lience communautaire et à aider la collectivité à devenir plus autonome dans la gestion de tous les aspects de sa santé. Les comités opé- rant dans les différents sites pour déplacé·e·s représentent une bonne occasion pour MSF de décentraliser certains aspects de l’intervention et d’augmenter le niveau de responsabilisation de la communauté.

Virginie Ucida habite sur le site de personnes déplacées d’Ugudo Zii et elle est membre du comité de protection du camp.
Le comité de protection offre une assistance aux victimes de violences sexuelles et les oriente vers MSF pour un traitement médical et un soutien en santé mentale. République démocratique du Congo, 2021. © Gabriele Casini / MSF
« Je suis fier de mon travail, et ma communauté l’apprécie. »

« Nous essayons de créer des mécanismes rési- lients », explique Abdurakhman Bodian. « Les sources d’eau et leur chloration peuvent être gérées par le comité d’hygiène, par exemple. Il faut analyser les différentes ressources et leur capacité au sein de la communauté. Décentra- liser autant d’activités que possible augmente- ra les chances que les mécanismes restent en place après le départ de MSF. »