© Yesika Ocampo/MSF

Mexique | Peu ou pas de soins de santé pour la population migrante

Une Hondurienne s’entretient avec un psychologue de MSF lors d’une clinique mobile destinée aux personnes essayant de migrer aux États-Unis. Mexique, 2022. © Yesika Ocampo/MSF
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Miguel Gil Psychologue MSF Canada

Environ 30 000 personnes provenant majoritairement des pays d’Amérique cen-trale et d’Amérique du Sud se rassemblent quotidiennement à Tapachula, une ville située à la frontière sud du Mexique. Ces gens ont souvent entrepris de longs pé-riples dans des conditions éprouvantes et bon nombre ont aussi connu des violences extrêmes ou de la torture.

Au départ, notre équipe en santé mentale visitait des refuges et d’autres endroits à Tapachula. Notre objectif était de prêter assistance aux survivantes et aux survi-vants de violences extrêmes et de torture, et de leur proposer de profiter du traitement spécialisé que nous offrons dans un centre de Médecins Sans Frontières (MSF) à Mexico.

Depuis un an, nous avons été en mesure d’étendre nos activités. Maintenant, nous offrons non seulement des soins de santé mentale à la population migrante, mais aussi une prise en charge des individus qui ont subi des violences sexuelles.

Notre équipe de MSF compte six psychologues, deux médecins, deux spécialistes en travail social, un intervenant psychosocial communautaire, un superviseur de santé mentale et un chef d’équipe. En 2022, nous avons soutenu 187 personnes.

La municipalité, ici, ne dispose pas des capaci tés suffisantes pour prêter assistance aux gens. Il n’y a ni place dans les refuges ni services
de base. Il existe bien des refuges gérés par d’autres organisations, mais ils ne sont pas en mesure de prendre en charge autant de personnes, et l’accès aux soins de santé est en général insuffisant. MSF est la seule organisation à offrir des soins spécialisés aux migrantes et aux migrants ayant survécu à des actes de violence ou de torture.

Ici, les migrants et les migrantes vivent principalement dans la rue, tout en ayant tendance à se regrouper, souvent en fonction de leur nationalité. La majorité sont d’origine haïtiennes et honduriennes, tandis que le nombre de personnes originaires du Venezuela a récemment augmenté de manière significative.

Le fait de survivre à des actes de violence extrême peut avoir de graves répercussions sur la santé mentale. Les principales répercussions que nous observons sont le stress post-traumatique, la dépression aiguë et l’anxiété. Nous voyons des personnes qui veulent mettre fin à leurs jours, d’autres qui ont été violées ou blessées par des armes à feu. Certaines ont été mutilées tandis que d’autres ont été témoins du meurtre de membres de leur famille.

Pour vous donner une idée de la gravité des symptômes que nous voyons, je n’ai jamais soigné ailleurs qu’ici autant d’individus ayant des idées suicidaires. Rien qu’en août 2022, nous avons recensé trois cas.

De plus, d’autres facteurs, comme le manque d’accès à l’aide humanitaire, aggravent ces symptômes et affectent aussi les gens sur le plan émotionnel. Les changements apportés aux politiques d’immigration ont par ailleurs un effet délétère sur la santé mentale, tout comme l’incertitude et le rejet.

DES SOINS DE SANTÉ REFUSÉS À DES PERSONNES PARCE QU’ELLES SONT MIGRANTES

L’accès aux soins n’est pas garanti pour la population migrante, et encore moins lorsqu’il s’agit de santé mentale. L’accès à ces soins demeure très restreint dans les centres de santé et ces personnes font parfois l’objet de discrimination. En réalité, certains services ou médicaments leur sont refusés, notamment en raison de leur statut.

Nous avons vu des cas d’individus en psychiatrie qui étaient en danger et pour qui l’accès aux soins publics est inexistant. Ce manque de soins spécialisés s’applique également aux communautés locales. Le seul hôpital psychiatrique est situé à Tuxtla Gutiérrez, soit à plus de quatre heures de voiture de Tapachula.

Il y a aussi des femmes qui ont besoin d’un suivi prénatal, mais qui n’y ont pas accès. Nous avons documenté des cas de violence obstétricale. De nombreuses personnes nous ont raconté que des soins leur avaient été refusés ou qu’on leur avait manqué de respect.

Les cas les plus complexes sont transférés au centre de soins intégrés de Mexico. Là, notre équipe, composée de personnel médical, de spécialistes de la santé mentale et du travail social ainsi que de physiothérapeutes, prodigue des soins multidisciplinaires spécialisés aux individus qui ont survécu à des violences extrêmes ou à de la torture, et ce, peu importe qu’ils viennent d’ici ou d’ailleurs.

ÊTRE AU SERVICE DE GENS QUI SONT OUBLIÉS

J’ai l’impression d’apporter ma contribution. Le plus valorisant pour moi, c’est de réussir à orienter efficacement les gens, à leur donner accès aux soins et à répondre à leurs besoins en matière de santé. Être au service de gens qui sont oubliés.

Miguel Gil, psychologue de MSF. Mexique, 2023. © MSF/Yesika Ocampo

La dernière personne que j’ai vue éprouvait des idées suicidaires et m’a déclaré : « Je t’en parle parce que je te considère comme un père. » J’ai été vraiment touché.

Nous devons dialoguer avec les communautés locales pour les aider à comprendre le vécu de ceux et celles qui ont enduré tant de souffrance. De nombreux parents, grands-parents ou arrière-grands-parents de Tapachula ont eux aussi connu jadis le chemin de la migration, alors peut-être peuvent-ils comprendre le combat que mènent ces gens.

Malheureusement, les crises se succèdent, obligeant les gens à quitter leur foyer et à chercher refuge. La violence et la cruauté que ces personnes subissent dans leur propre pays et sur la route ne faiblissent pas. Au fil des années, depuis que nous menons le projet de soutien à la population migrante au Mexique, la situation ne s’est pas améliorée, en fait, elle a continué de se dégrader. Les cas de violence extrême et de torture que nous prenons en charge ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

Je pense que sur les 30 000 personnes migrantes de Tapachula, 5 % ont subi des violences extrêmes. À mon avis, ce que ces gens attendent de nous, c’est que nous fassions preuve d’empathie en tant qu’êtres humains.

Environ 30 000 personnes migrantes se rassemblent quotidiennement à Tapachula, un point d’entrée majeur dans le sud du pays.
Mexique, 2023. © Yesika Ocampo/MSF