Quitter la Libye

Dre Areej en consultation avec un patient à Tripoli, où MSF offre des soins de santé aux communautés de personnes migrantes et de réfugiées. Libye, 2021.
Partagez cette page :

La Libye n’est pas un endroit sûr pour les migrants, les migrantes et les réfugié·e·s qui y sont exposé·e·s à un cycle bien documenté de violence et d’abus. Dans un nouveau rapport intitulé Out of Libya, Médecins Sans Frontières (MSF) demande aux autorités et aux États d’ouvrir de nouvelles voies d’évacuation afin que les personnes en déplacement puissent recevoir un soutien digne et sûr.

Lucie Fauteux Agente de communication

En novembre 2021, on estimait à environ 600 000 le nombre de personnes en déplacement en Libye. Originaires de plus de 44 pays, ces femmes, ces hommes et ces enfants partagent le même rêve : trouver un endroit sûr où vivre dans la dignité. Mais la réalité est souvent tout autre face à la détention, à la torture, au trafic et aux menaces visant notamment à extorquer des paiements contre une libération.

« Ils nous forcent à appeler nos familles pour leur demander une rançon, et menacent de nous tuer [si elles ne paient pas]. La Libye vous rend fou, au point que vous ne voyez plus comment en sortir. » – Jimmy*, 24 ans, originaire du Sénégal et rescapé par le Geo Barents, le navire de recherche et sauvetage de MSF en Méditerranée.

Selon Jérôme Tubiana, chargé de plaidoyer migration – Libye pour MSF : « Être un migrant ou une migrante en Libye, c’est risquer d’être arrêté sans recours à un système juridique, détenu dans des conditions lamentables, vendu à un réseau de trafiquants et soumis à une violence potentiellement extrême. »

Survivre dans la peur et l’insécurité

Tino*, 18 ans, a fui le Nigeria, puis la Libye, avant d’être secourue, en mars dernier, par le Geo Barents avec 112 autres personnes qui tentaient la traversée de la Méditerranée. Elle raconte : « En tant que femme noire, vous ne pouvez rien faire en Libye. Vous vivez dans une peur constante. Vous ne pouvez pas vous promener n’importe où pendant la journée parce que quelqu’un pourrait vous kidnapper, vous torturer, vous violer et vous forcer à vous prostituer. Je connais beaucoup de femmes qui ont été torturées et violées dans les prisons. »

« Privée d’options sûres à l’intérieur de la Libye, une partie de la population de migrants, de migrantes et de réfugié·e·s ne peut atteindre la sécurité qu’en quittant la Libye », explique Jérôme Tubiana.

Quitter la Libye, oui, mais…

Depuis 2011, le nombre de migrants, de migrantes et de réfugié·e·s qui tentent de fuir la Libye ne cesse d’augmenter. Les options sûres et légales pour ces personnes qui souhaitent quitter le pays sont toutefois limitées. Nombre d’entre eux et elles entreprendront le voyage par voie terrestre en courant les mêmes risques qu’ils et elles ont pris pour y venir. D’autres tenteront la périlleuse traversée de la Méditerranée, au risque d’être intercepté·e·s par les gardes-côtes libyens soutenus par l’Union européenne, ou de se noyer.

Certaines personnes auront recours au programme de retour humanitaire volontaire de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). « Bien que celui-ci offre la possibilité d’un rapatriement dans le pays d’origine, le concept de retour “volontaire”, en particulier lorsqu’il s’agit du seul moyen d’être libéré d’une détention arbitraire, demeure délicat », explique Jérôme Tubiana.

Chaque année, un nombre limité de personnes relevant de la compétence de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) sont réinstallées dans des pays tiers. Le manque de places dans les pays d’accueil, la sélection des personnes nécessitant une protection internationale urgente et les défis entourant la mise en œuvre du mandat du HCR imposent toutefois des délais que les migrants et les migrantes ne peuvent souvent pas soutenir.

Ouvrir de nouvelles voies d’évacuation

Devant ce constat, MSF soutient un vibrant plaidoyer et émet plusieurs recommandations pour que les pays d’accueil, dont les États européens et nord-américains, ouvrent des voies d’évacuation plus efficaces, plus rapides et complémentaires aux mécanismes en place pour que les migrants, les migrantes et les réfugié·e·s en situation de vulnérabilité puissent sortir de la Libye.

MSF exhorte par ailleurs l’Union européenne et ses États membres à revoir leurs politiques en matière de migration, à relancer leurs propres opérations de recherche et de sauvetage, et à retirer immédiatement tout soutien politique et financier aux gardes-côtes libyens.

« Nous ne plaidons pas seulement pour la réinstallation des migrants, des migrantes et des réfugié·e·s, mais pour l’évacuation, au nom du respect des droits de la personne, de tous ceux et celles qui sont victimes de crimes contre l’humanité, en particulier la torture systématique, en Libye. » – Jérôme Tubiana

* Ce nom a été changé pour protéger la vie privée.

Mohammed, originaire du Mali, vit en Libye depuis 2015. Il veut retourner dans son pays, mais il dit qu’il n’a pas assez d’argent. Il est venu ici pour
échapper au conflit et pour trouver du travail afin de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Depuis son arrivée, il a décroché un emploi comme ouvrier pour la municipalité, mais en raison des maigres salaires, il est obligé de recueillir de la ferraille au dépotoir, près de l’entrée de la ville, pour gagner plus d’argent. Il reçoit 1 dinar libyen (0,25 $) pour chaque kilogramme de métal qu’il récupère. Libye, 2020.
Matelas installés sur le toit d’un immeuble du quartier de Saraj, à Tripoli, où vit un groupe de migrant·e·s et de réfugié·e·s. Libye, 2021.