Une interdiction qui suscite des craintes chez les travailleuses de la santé

Une femme circule dans la salle de travail de la maternité de l’hôpital Boost que soutient MSF. Afghanistan, 2022. © Oriane Zerah
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Sarah Chateau Directrice des opérations

L’administration dirigée par les talibans a promulgué, en décembre 2022, un décret interdisant aux femmes de travailler pour des organisations non gouvernementales (ONG). Depuis, de profondes incertitudes planent sur l’avenir des patientes et des travailleuses de la santé en Afghanistan.

Bien que les travailleuses de la santé, y compris le personnel de Médecins Sans Frontières (MSF), soient actuellement épargnées par l’interdiction, rien ne garantit officiellement qu’elles puissent continuer de travailler librement. Dans un contexte de forte dépendance vis-à-vis de l’aide humanitaire et non gouvernementale, la participation des femmes dans les ONG demeure absolument indispensable pour assurer la prestation des soins de santé.

Les femmes représentent plus de 51 % du personnel médical de MSF en Afghanistan. Dans un communiqué de presse publié en décembre dernier, MSF condamnait la décision de l’émirat islamique. Certaines des employées de l’organisation ont alors exprimé leur frustration et leurs craintes pour l’avenir.

LES FEMMES AFGHANES FONT ENTENDRE LEUR VOIX

« À l’hôpital, nous recevons beaucoup de patientes. Quand elles tombent malades ou qu’elles sont sur le point d’accoucher, elles doivent trouver un endroit où aller. Si les talibans empêchent le personnel féminin de travailler, personne ne pourra prendre soin d’elles », déplore Farzaneh*, une employée afghane de MSF.

« C’est dur de ne pas être reconnues comme des êtres à part entière. »

« La santé d’une femme a des répercussions sur la santé de toute sa famille. Sans accès aux services prénatals et postnatals, la vie des enfants sera également menacée. Cette interdiction ne touchera pas que les femmes. Le pays en ressentira aussi les effets. »

Une autre membre du personnel de MSF déclare : « Si l’interdiction est étendue aux travailleuses de la santé, la situation sera aussi très difficile pour les patientes. De nombreuses familles n’acceptent pas que des hommes soignent des femmes. Tout cela peut nuire aux Afghanes de plusieurs façons, notamment par une augmentation de la mortalité maternelle et infantile. »

L’interdiction de l’émirat islamique risque d’exacerber la situation socio-économique difficile, dans un pays anéanti par le chômage et les sanctions imposées par les gouvernements étrangers.

« Je subviens aux besoins de sept personnes dans ma famille. Si je perds mon emploi, personne ne pourra les faire vivre », déclare Benesh, une autre employée afghane de MSF. « De nombreuses femmes en Afghanistan sont le soutien de famille, car les hommes sont incapables de travailler, ont fui le pays ou sont morts. Je réflé chis beaucoup tous les jours à ce que je ferais si je n’avais plus le droit de travailler. »

Les femmes et les enfants comptent parmi les groupes les plus vulnérabilisés en Afghanistan. Les préoccupations soulevées par les membres du personnel féminin de MSF font écho à celles de bien d’autres Afghanes.

« La récente interdiction a déjà causé des problèmes psychologiques à de nombreuses femmes et à leur famille », souligne une Afghane. « Nous craignons que chaque jour au travail soit le dernier. Se rendre au bureau semble de plus en plus difficile. »

Une mère inscrit son enfant au comptoir des admissions de l’urgence de l’hôpital Boost que soutient MSF. Afghanistan, 2022. © Oriane Zerah

« Je constate déjà qu’aux postes de contrôle, on cherche n’importe quel prétexte pour em- pêcher les femmes de se déplacer librement. Par exemple, ma sœur est récemment tombée malade et en se rendant à notre hôpital pour un examen mé- dical, elle n’a pas été autorisée à passer, car elle n’était pas accompagnée d’un mahram [chaperon]. Elle est restée là, debout dans le froid, pendant 50 minutes jusqu’à l’arrivée de mon frère. On les a alors laissés partir. C’est dur de ne pas être reconnues comme des êtres à part entière. »

« J’aimerais aussi dire une chose aux personnes qui lisent ceci :

s’il vous plaît, n’oubliez pas les femmes d’Afghanistan. »

« J’aimerais dire une chose aux personnes qui lisent ceci : s’il vous plaît, n’oubliez pas les femmes d’Afghanistan », supplie Soraya, autre membre afghane du personnel. « Aucune société ne peut prospérer sans les femmes et les hommes. Nous devons tous et toutes nous mobiliser au sein de nos communautés pour améliorer la situation. »

*Les noms ont été modifiés pour protéger la vie privée.

Deux membres du personnel de MSF marchent dans le couloir du service ambulatoire réservé aux femmes à l’hôpital Boost que soutient
MSF à Lashkar Gah. Afghanistan, 2022. © Oriane Zerah